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Apprendre comme 
les Allemands

L’Espagne travaille à son système éducatif : Seat a mis en place la formation en alternance à l’allemande.

14.08.2014
© SEAT - Training

Marc Estapé est devant le tour et donne la bonne forme à sa pièce à travailler, un rouleau pour table transporteuse. Les copeaux de métal en spirale tombent par terre, comme il se doit. Aucun maître ne contrôle l’apprenti de 21 ans, « ils nous font confiance », commente Estapé. Et ce, bien que le tour soit « vraiment très coûteux ». Mais Estapé 
a l’habitude de le manier. Il termine sa deuxième année d’apprentissage – pour devenir mécanicien outilleur – à l’Escuela de Aprendices de Barcelone, l’école d’apprentissage du constructeur automobile Seat, établissement qui fait partie du groupe allemand Volkswagen. Cette école existe déjà depuis longtemps, depuis 1957, presque aussi longtemps que Seat, mais il n’y a même pas deux ans qu’elle a une nouvelle mission : maintenant, les jeunes y suivent une formation professionnelle en alternance comme en Allemagne. Une petite révolution. L’un des 167 apprentis du constructeur automobile espagnol est Marc Estapé.

« Après le bac, j’ai dû me décider », raconte Estapé, « c’était soit l’université, soit un apprentissage. Ici, chez Seat, j’ai entrevu la possibilité d’un avenir professionnel. Un avenir professionnel : pour les Espagnols de la génération d’Estapé, c’est comme un gain au loto. Actuellement, plus de 880 000 jeunes entre 16 et 24 ans cherchent un emploi en Espagne. Par le passé, faire des études était considéré comme la solution idéale menant à un emploi stable, mais ces temps sont révolus. « Des amis à moi font des études d’ingénieur », raconte la jeune fille de 
19 ans, Dulce Polo, qui est en troisième année d’apprentissage à l’usine Seat de Martorell, aux portes de Barcelone. « Et après, ils doivent travailler comme serveurs. » Selon toute probabilité, ce destin sera épargné à Marc et à Dulce. Ils ont toutes les chances, une fois leur formation achevée, d’être embauchés par Seat.

Dans les années 60, l’Espagne était devenue un pays industriel, ce qui s’est aussi traduit par un changement de mentalité. « Les parents voulaient que leurs enfants aient un meilleur avenir qu’eux », dit Manuel Moreno, responsable de la formation chez Seat. Ils envoyaient donc leurs enfants à l’université. Aujourd’hui 40,7% des jeunes Espagnols de 30 à 34 ans ont un diplôme universitaire ; en Allemagne, ce chiffre est de 33,1%. « Pendant ce temps, 
la formation professionnelle perdait de son prestige », déplore Moreno. Selon les chiffres publiés par l’OCDE, 8,4% des Espagnols adultes ont achevé un apprentissage contre 55,8% en Allemagne.

La réforme du droit du travail, en 2012, a quelque peu changé a donne : l’Espagne 
a fait ses premières démarches pour transformer sa « formación profesional » en une formation professionnelle en alternance, ciblée sur la pratique. Maintenant, les entreprises espagnoles peuvent conclure des contrats de formation avec des jeunes. Jusqu’ici, les élèves d’écoles professionnelles n’acquéraient de l’expérience professionnelle que sous la forme de stages qui souvent n’étaient pas ou, dans le meilleur des cas, peu rémunérés, ce qui n’était satisfaisant ni pour les élèves, ni pour les entreprises.

L’Allemand Josef Schelchshorn qui, après une longue carrière chez Audi, a débuté il y a quatre ans comme directeur des ressources humaines chez Seat, raconte comment il s’est interrogé en entrant en fonction : « En faisons-nous assez en matière de formation ? À quoi mes collaborateurs ont répondu : en fait, quand nous embauchons des jeunes, nous devons toujours compléter leur formation. » La réforme du marché de l’emploi est donc venue à pic. À l’automne 2012, la filiale de VW a joué le rôle de pionnière en Espagne en instaurant la formation en alternance à l’allemande. Désormais, dès le premier jour de leur formation, les apprentis sont des employés de Seat et perçoivent un salaire d’apprentissage.

En contrepartie de leur salaire, les apprentis doivent en faire davantage. Au lieu des 2000 heures de théorie et de 
pratique sur deux ans, les élèves de 
Seat doivent en accumuler 4624 sur leurs trois ans d’apprentissage. Un bon quart consiste en théorie, le reste étant réservé à la pratique qui a lieu tout d’abord à l’Escuela de Aprendices, puis (au total: 1852) dans l’entreprise. « Nous disons à nos apprentis : vous travaillerez beaucoup pendant trois ans, et ce jusqu’au cou ! », dit Moreno. « Il y en a qui pensent que les jeunes veulent travailler le moins possible, en fait, ils veulent des perspectives ! » Chez Seat, on leur en donne. D’où l’intérêt : cette année, 912 jeunes – hommes et femmes - ont postulé aux 60 nouveaux postes d’apprentissage. L’entreprise peut sélectionner les meilleurs. À la fin de leur formation, il ne faudra rien ajouter : ils pourront commencer à l’usine comme salariés à part entière.

Ces dernières années, les Espagnols ont déjà beaucoup entendu parler de la formation en alternance et la petite école privée allemande « Aset » qui vient de 
se rebaptiser « Feda Business School » propose, depuis 1982, à Madrid et à Barcelone une série de filières de formation à l’allemande ; reconnue par l’État, cette école professionnelle bénéficie désormais du soutien du Service central pour les enseignements allemands à l’étranger (ZfA) de l’Office fé­déral d’administration. Il importe maintenant que cette idée fasse son chemin dans toute l’Espagne. La Chambre de commerce allemande pour l’Espagne, qui a attribué, cette année, le Prix germano-espagnol de l’Économie à Seat pour avoir mis en place la formation en alternance, aide comme elle peut en conseillant les sociétés espagnoles désireuses de suivre l’exemple du constructeur automobile espagnol. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation espagnol, près de 10 000 élèves d’écoles professionnelles effectuent cette année une formation en alternance en Espagne, soit deux fois autant que l’an dernier, mais encore toujours très peu par rapport aux plus de 660 000 élèves d’écoles professionnelles espagnoles.

Au Portugal, la Chambre de commerce allemande est aussi l’un des moteurs de l’amélioration du système de formation en alternance dans ce pays ; elle exploite elle-même trois centres de formation du nom de « Dual » à Lisbonne, Porto et Portimão, dans l’Algarve.

« Actuellement, la formation en alternance est sur toutes les lèvres », dit Schelchshorn, le chef des ressources humaines de Seat. « Et un grand nombre d’intéressés nous demandent : Au fait, comment ça se passe chez Seat ? On peut aller voir ? Est-ce que nous pouvons l’adapter ? Bien sûr. Nos portes sont ouvertes si quelqu’un vient chez nous. » Dans le meilleur des cas, la formule de Seat fera école en Espagne. Dans des changements de ce type, le plus dur, c’est le début », dit le responsable de la formation, Moreno. « L’entreprise doit vouloir s’engager de son plein gré. Mais je suis convaincu que, d’ici cinq ans, la formation en alternance aura fait un énorme pas en avant en Espagne. » ▪