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Protection de la nature sans frontières

Avec le projet Kaza en Afrique subsaharienne l’Allemagne soutient la création de la plus grande réserve naturelle au monde.

19.12.2012
© picture-alliance/dpa

Les hommes venant d’Allemagne sont agenouillés sur un sol en terre battue, frappent dans leurs mains et baissent la tête humblement – comme l’exige le protocole. C’est déjà leur seconde visite à Sa Majesté Inyambo Yeta, chef de la tribu des Lozi en Zambie. Ils espèrent qu’il leur consacrera au moins quelques minutes pour écouter leur demande.

Philipp Göltenboth et Ralph Kadel sont venus en Afrique avec une vision qui vaut la peine de se mettre à genoux : il s’agit tout simplement de la plus grande réserve naturelle au monde. Elle doit être créée en traversant les frontières de cinq États d’Afrique subsaharienne – sur une surface de 440 000 kilomètres carrés. Ce projet est financé essentiellement par le gouvernement allemand. Il a été lancé en 2012. Il a fallu coordonner les dons, convaincre les autorités et les chefs de tribu – c’est pourquoi Göltenboth et Kadel sont allés en Afrique en tant que chefs du projet du World Wide Fund for Nature (WWF) et de la banque allemande de développement KfW. Le WWF paie chaque année deux millions d’euros pour ce projet et le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement à Berlin s’est, jusqu’à maintenant, engagé à donner 20 autres millions d’euros. Depuis février 2011, l’argent est versé au bureau central du parc au Botswana, en transitant par la KfW. Cette réserve naturelle porte le nom de Kavango Zambezi Transfrontier Conservation Area (Kaza). Il s’agit bien sûr de la protection des espèces mais aussi de davantage de richesse pour les personnes vivant dans cette région. Le parc traverserait les frontières entre la Zambie, le Botswana et la Namibie. De plus, une grande partie de la zone protégée se trouve en Angola, pays marqué par la guerre civile, et au Zimbabwe. Il y a des régions plus calmes pour lancer un projet de réserve naturelle de cette ampleur.

« Cela ne peut fonctionner que si nous pouvons gagner à notre cause les gens sur place », déclare Kabel en époussetant son pantalon dans la salle de cérémonie du palais de Yeta. Il pense aux chefs de tribus mais aussi aux paysans de la région. En Afrique, ce n’est pas encore très fréquent de faire participer la population à la protection de la nature. Selon les anciennes lois coloniales les terres appartiennent à l’État, la population rurale n’a droit qu’à un bail. Les autorités locales et les investisseurs étrangers font le profit. Les safaris et l’exploitation des mines sont lucratifs. La population rurale ne participe guère aux profits ; très souvent elle doit braconner pour survivre. Avec le nouveau parc, cela doit changer.

C’est dans le but de le convaincre que Göltenboth et Kadel sont venus au palais de Yeta, une maison en briques au milieu d’un jardin tropical. La porte donne accès à une pièce voûtée – la salle de conférence du roi avec des portraits de chefs de tribu zambiens accrochés au mur badigeonné en bleu clair. Avant l’arrivée du roi, les hommes se répartissent autour de la table de conférence, les femmes se casent aux derniers rangs – comme le veut la tradition. Et comme le veut Yeta qui prend place dans son fauteuil et s’adresse solennellement à ses hôtes d’une voix feutrée. Il commence par parler des problèmes de la région : « Le Zambèze déborde beaucoup trop souvent ; l’agriculture est pratiquement impossible. Les champs ne peuvent pas nourrir mon peuple. Nous avons besoin d’une solution pour sortir de la pauvreté. » Il veut faire du territoire de sa tribu la première communauté de protection de Zambie. Les visages des hôtes se détendent.

Ce que le roi appelle une communauté de protection est une petite révolution que le WWF, essentiellement, fait avancer depuis des années. Des villages doivent se regrouper et s’autogérer dans ce que l’on appelle des « conservancies », grâce auxquelles le roi Yeta peut augmenter son pouvoir – et cela rapporte de l’argent. Les petites gens en profiteraient aussi : dans les conservancies ils auraient le droit d’acquérir des terrains. Les paysans pourraient alors utiliser légalement ce qui vit ou pousse sur leurs terres, selon un quota de chasse et d’abattage du bois instauré par le gouvernement. Les communautés pourraient même louer leurs terres à des sociétés de tourisme ou vendre des licences à des organisateurs de safaris étrangers. Pour savoir comment cela fonctionne, il suffit de regarder ce qui se passe en Namibie où il y a déjà des conservancies. Les entreprises versent de cinq à dix pour cent de leur chiffre d’affaires aux communautés. Pour les conservancies en Namibie, cela signifie un progrès économique : alors qu’en 1998 leurs recettes ne s’élevaient qu’à 60 000 euros, elles étaient déjà de 3,5 millions d’euros en 2009.

Un des principaux problèmes du projet Kaza est la cohabitation des hommes et des animaux sauvages. Les zones protégées actuelles – 36 parcs nationaux et de nombreuses réserves – sont isolées les unes des autres, séparées par des étendues de pays à population dense. La carte du Kaza ressemble à un patchwork sur lequel de pauvres paysans élèvent des animaux et essaient de sauver leurs maigres récoltes convoitées par les troupeaux d’éléphants.

Selon Michael Chase, chercheur spécialiste des éléphants, et soutien des deux écologistes « Ce sont justement les éléphants, dont la population a énormément grandi dans certaines régions, qui causent de gros dégâts aux cultures. Dans le delta de l’Okavango au Botswana il n’y avait aucun éléphant dans les années 70 ; aujourd’hui on en compte 60 000. » Beaucoup plus que les hommes et la végétation ne peuvent en supporter. Dans des pays voisins par contre, comme en Angola qui a perdu beaucoup d’éléphants à cause de mines antipersonnel et de braconnage lors de la guerre civile, on aimerait en accueillir. Une redistribution soulagerait des régions faisant partie du Kaza. Le parc serait une percée pour les animaux au-delà des frontières nationales.

Avant que cela devienne réalité, les fondateurs devront encore surmonter bien des difficultés : les ordres juridiques dans les États sont complètement différents. La Zambie, par exemple s’appuie sur le droit des tribus des rois traditionnels. L’Angola est encore confronté aux suites de la guerre civile, de sorte que la protection de la nature est secondaire. Quant au Zimbabwe, la situation politique y est très difficile et le braconnage très fréquent. La plupart des projets que soutiennent la KfW et WWF se limitent donc à la Zambie, à la Namibie et au Botswana. Là aussi les débuts ont été difficiles. Selon Kadel, au Botswana, trop d’argent a été versé trop rapidement dans les secteurs de protection des communautés. L’argent a souvent atterri au mauvais endroit. « C’est le prix de l’apprentissage » dit-il. Cela ne sert à rien de construire des postes de garde de rangers dans la brousse si l’on n’apprend pas aux gens comment les entretenir.

Malgré toutes les embûches, le Kaza semble être en bonne voie : le parc a été ouvert en mars 2012. Pour Göltenboth et Kadel c’est une étape très importante. La zone aride recouverte de savane des Lozi, dont les champs sont aujourd’hui inondés par le Zambèze, pourrait à nouveau se peupler d’animaux et attirer les touristes. Et peut-être qu’un jour, comme l’espèrent les deux écologistes, le territoire de la tribu de Yeta deviendra l’un des buts de voyage les plus beaux et les plus méconnus de Zambie. ▪

Kirsten Milhahn