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Lumière et ombre au lac Victoria

Le groupe allemand d’éclairage amène de la lumière écologique et à bon prix dans les villages de pêcheurs, au Kenya.

26.03.2014
© Osram - Lake Victoria

Quand la nuit tombe au lac Victoria, la 
journée de travail ne fait que commencer pour les pêcheurs de Mbita. Les hommes ravaudent leurs filets à la plage et entassent des vivres dans les longs bateaux en bois. Le plus important est amené à bord tout à la fin : une lampe à pétrole montée sur un petit radeau en bois. Dès que les pêcheurs ont atteint leur but, très loin au large, ils font descendre la lampe jusqu’à l’eau. La lumière attire les insectes. Et les insectes attirent les poissons.

Ce principe fonctionne au Kenya depuis des générations. Mais Oscar Ominde voudrait que cela change. Tandis que les premières lampes à pétrole vacillent à l’horizon, Ominde s’approche d’un propriétaire de 
bateau qui n’a pas encore achevé ses pré­paratifs : « Pouvez-vous vous permettre de 
brûler de l’argent chaque nuit ? » Le pêcheur le regarde d’un air étonné. Ominde a attisé sa curiosité. « Je viens de chez Osram, une entreprise allemande », dit-il. « Je voudrais vous aider à faire de grandes économies. »

Il y a plusieurs années qu’Ominde travaille sur les rives du lac Victoria. Mais mombreux sont ceux qui n’ont pas encore entendu son message : quelque 175 000 pêcheurs prennent la mer nuit après nuit. Mais en emmenant leur lampe à pétrole, ils causent un triple dommage : au niveau de l’environnement, de leur propre santé et de leur porte-monnaie. Il y a toujours du pétrole qui se déverse dans l’eau et l’émission de CO2 des lampes à combustion est élevée ; la fumée peut affecter les voies respiratoires. En outre, le combustible est assez cher, les pêcheurs le constatent chaque jour. Le groupe allemand d’éclairage Osram, patron d’Ominde, a mis au point une alternative pour les hommes de Mbita : une lampe basse consommation à lumière crue qui trouve sa place, avec sa batterie, sur le radeau en bois. Pas de vacillement, pas de suie et un prix modique : recharger la batterie pour une nuit coûte environ un euro. Pour le pétrole, il faut compter 1,50 euro.

Tout autour du lac Victoria comme dans de nombreuses régions d’Afrique, la lumière électrique n’est pas une évidence. Ici, des millions de personnes vivent sans courant. Dans la plupart des communes, il y a pénurie d’infrastructure de réseau. Pour pouvoir fournir, malgré tout, de la lumière écologique à ces régions, Osram mise sur des points de charge décentralisés, situés au cœur de la localité. Les maisonnettes peintes en vert et blanc, Osram les a baptisées « WE-hub ». W est mis pour eau (en allemand : Wasser) et E pour énergie. Pour montrer comment fonctionne ce concept, Ominde grimpe sur le toit : 72 panneaux solaires y sont installés. L’énergie qu’ils produisent est requise à l’intérieur de la cabane. Des douzaines de batteries – des boîtes bleues de la taille d’une batterie de voiture – sont empilées sur une étagère où elles sont rechargées. Quand un client entre avec une batterie vide, il peut immédiatement l’échanger contre une pleine. De plus, pour intégrer la WE-hub à la vie du village, une petite installation de filtrage transforme l’eau de pluie en eau potable que les clients peuvent acheter dans la WE-hub.

Au début, c’était tout sauf facile : lorsqu’Osram ouvrit le premier « Energie-Hub » à Mbita en 2008, la population locale ne s’est guère montrée intéressée. Au cours des six premiers mois, il n’y a pas eu un seul client payant. « On nous accueillait évidemment avec scepticisme », dit Ominde. Car ce n’est pas si facile de convaincre les gens d’adopter une nouveauté quand ils avaient, par le passé, une solution qui a toujours fonctionné. « C’est nous qui causions beaucoup de problèmes. »

C’est ainsi qu’au départ, ne sachant pas chez quels pêcheurs ils devaient faire de la réclame, les salariés d’Osram contactaient souvent les employés et non les propriétaires de bateaux, décideurs des acquisitions. De plus, l’offre n’était pas vraiment pratique : alors qu’on pouvait acheter son pétrole à la plage même, le point de charge du courant est très éloigné. Ominde a réagi en instaurant une antenne mobile : désormais, une charrette tirée par un âne transportait tous les jours les batteries rechargées à la plage. Bien que, sur la planche à dessin, le projet parût mûr, en réalité, il avait besoin de sérieuses retouches.

Au niveau des batteries, la société a notamment dû adopter une autre technologie, les vieilles batteries rendant l’âme trop tôt. Elle a aussi doté les appareils de nouvelles fonctions telles qu’un port USB permettant de recharger son téléphone portable. Chaque hub dispose d’un petit cybercafé, ce qui permet aux villageois d’apprécier cette nouvelle institution. Jusqu’ici, trois hubs sont exploités, desservant en tout 1500 clients réguliers. S’y ajouteront cinq autres en 2014. Pour faire avancer les choses, Osram n’est plus seule à s’occuper du projet, mais s’est adjointe des partenaires tels que la Fondation Siemens et le Global Nature Fund. Qui plus est, les affaires courantes sont maintenant aux mains de Kenyans : l’entreprise sociale locale Light for Life se charge d’exploiter les hubs, avec le soutien du salarié d’Osram, Ominde.

Tard le soir, il ne voit plus les pêcheurs que comme de minuscules points lumineux à l’horizon du lac. Par les nuits claires, on en distingue des centaines. D’après le vacillement, Ominde discerne même s’il s’agit d’une lampe à pétrole ou d’une lampe provenant de son stock. Comme chaque nuit, les clients au pétrole sont encore toujours en surnombre. Ominde et ses collègues ont encore du pain sur la planche en termes de conviction. ▪

Mathias Peer