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« Les organisations d’aide humanitaire réalisent un énorme travail partout dans le monde »

L’expert en aide d’urgence Ralf Südhoff parle dans une interview des chances et des possibilités qu’offrent l’aide humanitaire et la coopération au développement. 

02.04.2024
Des bénévoles préparent des aliments pour des personnes souffrant de la faim.
Des bénévoles préparent des aliments pour des personnes souffrant de la faim. © picture alliance / Godong

En 2022, l’Allemagne a dépensé environ 33,3 milliards d’euros pour la coopération au développement, dont environ 2,2 milliards d’euros pour l’aide humanitaire provenant de fonds publics. Parmi ces deux sortes d’aide, laquelle est la plus déterminante ?
Aucune des deux aides n’est plus déterminante que l’autre, la vraie question étant plutôt la suivante : dans quelle situation telle ou telle aide est-elle la plus déterminante ? Parce que les ressources seront toujours plus limitées que l’urgence et les besoins à travers le monde. C’est aussi une question cruciale à l’heure actuelle, car au cours des 20 dernières années, l’extrême détresse a augmenté de manière fulgurante : plus de 300 millions de personnes dépendent aujourd’hui de l’aide humanitaire, aide pour laquelle en 2024 plus de 50 milliards de dollars américains seraient nécessaires, un chiffre qui, selon les prévisions, sera loin d’être atteint. Au début des années 2000, 2 à 3 milliards de dollars américains suffisaient encore pour aider toutes les personnes en situation de grande détresse. Par conséquent, les organisations d’aide humanitaire se retrouvent, elles aussi, confrontées à de terribles choix : à quelles personnes allons-nous consacrer nos maigres ressources humanitaires, aux populations de la Corne de l’Afrique, touchées par la famine, aux victimes de la guerre en Ukraine ou aux personnes déplacées en Syrie ? Et combien de fonds allons-nous prélever sur les programmes de développement à long terme pour, d’abord, sauver des vies ? Ce qui, d’un autre côté, empêchera par exemple l’éducation d’enfants qui, eux-mêmes, constitueront alors probablement la prochaine vague de miséreux, nécessitant bientôt une nouvelle aide d’urgence. De fait, en dépit de ces conflits d’objectifs qui s’intensifient rapidement, la plupart des pays continuent à consacrer beaucoup moins d’argent à l’aide d’urgence qu’au développement : ils n’y versent en moyenne qu’environ 15 pour cent de leur aide totale. En Allemagne, cette part est d’environ 10 pour cent. 

Les résultats sont parfois bien plus positifs que nous ne le supposons en général.
Ralf Südhoff, CHA Centre for Humanitarian Action

Le succès de l’aide humanitaire peut être mesuré : qui souffre de la faim obtient au moins quelque chose grâce à l’aide d’urgence. Mais peut-on également chiffrer le succès de la coopération au développement ?
En principe, c’est possible, et les résultats sont parfois bien plus positifs que nous ne le supposons en général. Partout dans le monde, au cours des dernières décennies, la pauvreté a considérablement diminué ; l’espérance de vie, qui constitue un indicateur de nombreux facteurs tels que la santé, l’alimentation, la prospérité, a progressé ; par ailleurs, beaucoup moins d’enfants de moins de cinq ans ou de mères meurent à la naissance. Le défi consiste à mesurer la part prise par l’aide au développement dans cette évolution, car des facteurs tels que la croissance économique ou la gouvernance jouent également un rôle majeur. Mais l’inverse est tout aussi vrai : souvent, l’utilité de l’aide au développement est remise en question : tel est le cas, par exemple, lorsque la Corne de l’Afrique connaît des famines ou subit des revers massifs suite à la pandémie de coronavirus. Il est toutefois évident que cela est peu lié à l’efficacité de l’aide, mais bien plus à son contexte, comme le changement climatique provoqué par l’homme ou notre gestion globale des épidémies et des vaccins. Financièrement peu élevée, l’aide au développement ne pourra jamais être qu’un facteur, et souvent un seul, qui permet d’atténuer quelque peu des dysfonctionnements.  

Ralf Südhoff, directeur du CHA, Centre for Humanitarian Action à Berlin
Ralf Südhoff, directeur du CHA, Centre for Humanitarian Action à Berlin © CHA

Après des situations d’urgence, l’aide humanitaire se transforme souvent en coopération au développement. À l’inverse, il est parfois nécessaire de fournir une aide d’urgence dans des pays où des projets de développement sont en cours. Ces transitions fonctionnent-elles ? 
Elles ne fonctionnent pas comme il le faudrait : la question d’une bonne articulation entre l’aide d’urgence et l’aide au développement préoccupe depuis des décennies tant les organisations d’aide humanitaire que les gouvernements : en Allemagne, le débat récurrent sur la nécessité de fusionner le ministère du Développement et le ministère des Affaires étrangères chargé de l’aide d’urgence en témoigne.   

Dans la coopération au développement, et plus particulièrement dans l’aide d’urgence, les organisations non gouvernementales jouent un rôle très important. La coopération entre les différents acteurs fonctionne-t-elle ? 
Elle fonctionne, elle aussi, de manière très variable, et ce pour des raisons bien diverses : parfois, la coordination fait tout simplement défaut en raison du manque de temps et de ressources pour organiser des rencontres. Et d’autres fois, ce sont des intérêts bien concrets qui s’y opposent. Il y a, par exemple, un consensus sur le fait que beaucoup plus d’aide devrait être fournie par des organisations locales situées sur place, car elles connaissent mieux le terrain, peuvent travailler plus efficacement et ont souvent un meilleur accès. Cependant, de nombreuses organisations internationales d’aide humanitaire ont énormément de mal à céder une part du gâteau, car les enjeux en termes d’argent et d’emplois sont évidemment considérables. Pourtant, force est de constater que les organisations d’aide humanitaire réalisent un énorme travail partout dans le monde : et cela, souvent au prix de risques personnels élevés, lors d’interventions dans des zones extrêmement hostiles et touchées par la guerre ou soumises à des catastrophes naturelles. L’objectif doit être d’améliorer encore l’aide et de la rendre plus efficace, précisément parce qu’elle est aujourd’hui plus déterminante que jamais.  

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Ralf Südhoff est directeur du CHA Centre for Humanitarian Action à Berlin. Le CHA est une initiative d’organisations non gouvernementales d’aide humanitaire qui souhaitent renforcer l’aide d’urgence tant depuis l’Allemagne qu’au niveau international.