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La chute du Mur et l’unité allemande

Un processus sans précédent historique, la fin de la partition et l’analyse du passé.

13.08.2012
Feier anlässlich der Fall der Mauer am Brandenburger Tor
© dpa

Le jour où le mur de Berlin tomba, le9 novembre 1989, marqua l’apogée d’une révolution. Les citoyens de la RDA y jouaient le rôle principal : les uns parce qu’ils faisaient tout leur possible pour quitter un pays qui leur refusait la liberté de voyager et arrachèrent l’autorisation de partir en occupant des ambassades à l’étranger ; les autres parce qu’ils affirmaient à haute voix qu’ils voulaient rester en RDA mais avec des réformes fondamentales que le régime ne pouvait accepter sans provoquer sa chute. Malgré ses immenses mesures de sécurité, la RDA s’est écroulée comme un château de cartes en l’espace de quelques mois sous les coups de butoir de ce double assaut. Cette révolution aplanit la voie menant à la fin de la partition et à la réunification de l’Allemagne le 3 octobre 1990.

Au début de l’an 1989, pratiquement personne en Allemagne, à l’Ouest comme à l’Est, ne pensait que le 40e anniversaire de la RDA au mois d’octobre serait aussi son dernier, que le mur de Berlin tomberait bientôt, et que l’Allemagne divisée en deux Etats serait (ré)unifiée. Personne n’imaginait qu’à la suite de ces développements, les constellations politiques mondiales qui avaient pendant plus de 40 ans marqué la politique dans l’Europe d’après-guerre disparaîtraient. Tout se bouscula. L’histoire européenne qui n’avait évolué qu’avec lenteur pendant des décennies s’accéléra soudain et finit par s’emballer. La rapidité de cette évolution coupa le souffle aux observateurs qui se contentaient d’assister aux événements sans intervenir sur le cours des choses. Dix mois seulement après la chute du Mur, le Traité 2 + 4 signé le 12 septembre 1990 ouvrait la voie à la réunification allemande.

Pour un court moment, l’unité allemande, officiellement réalisée le 3 octobre 1990 avec l’adhésion des cinq nouveaux Länder au « domaine d’application de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne », déboucha sur une joie collective portée par la certitude de pouvoir relever les défis lancés par le processus de réunification. Puis vint le « labeur des étendues » (Bertolt Brecht). Les difficultés que nombre d’Allemand connurent avec la nouvelle unité étatique découlaient aussi de ce qu’elle se réalisa quand pratiquement personne ne s’y attendait et à un rythme auquel on n’était pas habitué.

Le défi de la reconstruction à l’Est

Après la disparition de la RDA, on s’aperçut que sa productivité moyenne ne représentait qu’un tiers de celle de la République fédérale si bien que la « Treuhandanstalt », chargée de privatiser les entreprises nationalisées, enregistrait à la fin du processus un déficit de 230 milliards de deutschemarks au lieu des 600 milliards de marks de bénéfices attendus (environ 300 milliards d’euros). L’espoir de financer les investissements nécessaires dans l’infrastructure des nouveaux Länder avec les revenus de la privatisation de la « propriété du peuple » s’était avéré trompeur.

Les coûts de l’unité allemande évoluèrent de manière beaucoup plus dynamique que les estimations les plus pessimistes ne le laissaient prévoir. La population de l’Est dut supporter la charge sociale de la réunification, la population de l’Ouest en porter le poids financier. Ainsi, après « l’annus mirabilis » que fut 1989–1990, un processus de convergence plus lucide, aux perspectives à long terme, se mit en place. Cela occulta parfois les succès de la reconstruction à l’Est qui apparaissaient progressivement.

On compte parmi les résultats spectaculaires de la reconstruction à l’Est l’assainissement des quartiers d’habitation qui se dégradaient continuellement à l’époque de la RDA, et pas seulement dans des villes comme Dresde, Leipzig, Chemnitz ou Halle. D’autres résultats tangibles : l’infrastructure des télécommunications des nouveaux Länder qui compte aujourd’hui parmi les plus modernes d’Europe, la création d’un paysage universitaire compétitif ainsi que le leadership mondial des entreprises de technologies solaires et environnementales qui se sont installées dans l’est du pays. D’immenses progrès ont également été réalisés dans l’infrastructure, la protection de la nature et de l’environnent, le développement du tourisme et la sauvegarde des biens culturels.

Mais, d’un autre côté, on assista à une migration – qui a ralenti aujourd’hui par rapport aux premières années de la réunification – des jeunes habitants de l’Est vers l’Ouest qui provoqua une baisse et un vieillissement de la population dans les nouveaux Länder. Cette émigration de la population de l’Est concorde avec les transferts en provenance de l’Ouest qui, jusqu’en 2009, s’élevaient à un total estimé à 1,6 billion d’euros nets (déduction faite des prestations en provenance de l’Allemagne de l’Est). Les efforts entrepris pour la reconstruction à l’Est sont un exemple de solidarité nationale auquel on ne s’attendait guère dans une ambiance politique marquée par le discours post-national. Malgré tous les progrès accomplis, le rapprochement des niveaux de vie à l’Est et à l’Ouest reste prioritaire pour parachever l’unité intérieure. Le rapport annuel du gouvernement fédéral sur l’unité allemande dresse régulièrement un tableau de l’évolution dans les différents domaines.

Berlin, le centre politique

Berlin fut désigné capitale de l’Allemagne dès le Traité d’unification. Le 20 juin 1991, le Bundestag décida que le gouvernement fédéral et le Parlement devaient déménager de Bonn – capitale de la République fédérale depuis 1949 – à Berlin. Depuis ce déménagement en 1999, l’Allemagne a, avec Berlin, retrouvé un centre politique animé, comparable aux métropoles des grands pays européens voisins, et symbolisé par la Chancellerie, par la modernisation du Reichstag et par une Porte de Brandebourg ouverte incarnant la fin de la partition. On a parfois craint que l’installation du gouvernement à Berlin n’exprime une nouvelle « mégalomanie » allemande qui, en raison du poids politique et économique du pays, compromettrait l’équilibre européen. Ces craintes se sont avérées injustifiées. Bien au contraire, l’unité allemande a servi de point de départ pour surmonter la division du continent en Europe de l’Est et de l’Ouest.

Dans cette mesure, l’Allemagne a effectivement joué un rôle de pionnier dans l’intégration politique et économique du continent. Elle a renoncé pour cela au deutschemark, l’un de ses instruments les plus importants symbolisant le processus de réunification, pour créer un espace monétaire européen qui n’existerait pas sans l’Allemagne. Depuis 1990, même lorsqu’ils étaient très absorbés par le processus de réunification, les différents gouvernements allemands n’ont jamais perdu de vue l’intégration européenne et ont largement contribué à son avancement qui déboucha sur le processus de Lisbonne.

Dans les années 1990, le rôle de l’Allemagne dans la politique mondiale a lui aussi évolué. Ses responsabilités accrues sont visibles à l’étranger avec la participation de soldats allemands aux missions internationales de paix et de stabilisation. Mais, à l’intérieur, ces missions à l’étranger font parfois l’objet de controverses. Les alliés de l’Otan attendent de la République fédérale d’Allemagne qu’elle assume des obligations communes correspondant à sa taille et à son poids politique. Cela met rétrospectivement en lumière le fait que, pendant sa partition, l’Allemagne avait un statut politique qui a disparu avec la fin de l’ordre mondial bipolaire. Depuis que les risques d’une confrontation entre les soldats de la Bundeswehr et de l’armée populaire de la RDA ont disparu, les attentes internationales envers l’Allemagne ont continuellement augmenté pour qu’elle assume des responsabilités appropriées.

Assumer le passé

L’une des questions les plus délicates de l’unité allemande est de savoir comment aborder politiquement la réflexion sur le régime du SED en RDA de 1949 à 1989-1990. Hormis le fait que les partis politiques se servent parfois de la culture du souvenir et de l’analyse du passé pour exprimer leurs positions, on constate aujourd’hui encore des différences d’approche entre les Allemands de l’Est et de l’Ouest. Mais ce sont surtout les conflits interrompus par l’intégration rapide d’une RDA déliquescente dans le processus de réunification à l’automne-hiver 1989-1990 qui réapparaissent maintenant par le biais de la politique du souvenir. Même si nombre de personnes concernées ne le voient pas ainsi, les élites de la RDA passèrent sous la protection du système juridique fédéral (et sous l’aile de l’Etat social), ce qui a largement contribué à ce que cette révolte proche de la révolution se déroule de manière pacifique.

Jusqu’alors, les Allemands ne pouvaient prétendre être intervenus de manière révolutionnaire dans la marche de l’Histoire, contrairement à leurs voisins français. Depuis, ils se sont inscrits durablement dans l’histoire révolutionnaire de l’Europe, deux cent ans exactement après les Français, avec une révolution pacifique qui fit partie du grand mouvement pour la liberté et les droits des citoyens qui secoua l’Europe centrale et de l’Est. On peut dire que ce fut un pas déterminant sur le long cheminement de l’Allemagne vers l’Occident (Heinrich August Winkler), un pas avec lequel l’Allemagne réunifiée a renoncé à un éventuel « sonderweg », à un cheminement particulier.