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Redécouvrir les atouts existants

L’Europe a besoin d’une ré-industrialisation, dit aussi Reinhard Bütikofer, rapporteur du Parlement européen.

13.01.2014
© picture-alliance/dpa - Reinhard Bütikofer

Il n’y a pas si longtemps, le secteur des services semblait être un véritable gage de prospérité. Il était prometteur d’emplois, de forte croissance, d’une meilleure image, bref : d’avenir. L’industrie, en revanche, avait la réputation d’être obsolète. On y associait des cheminées crachant de la fumée noire, des usines fabriquant des produits en masse : une image 
qui ne convenait guère aux économies modernes. Le vent n’a pas tourné avec la crise économique et financière en Europe mais cette période difficile a renforcé une nouvelle approche. Aujourd’hui, la Commission européenne rappelle que l’Europe a besoin d’une industrie saine car le secteur tertiaire ne saurait croître sans la production industrielle. Or, dans l’Union européenne, l’industrie a déjà sensiblement reculé et recule encore. Pour contrer cette évolution, la Commission a adopté en 2012 une stratégie de ré-industrialisation. D’ici à 2020, la part de l’industrie dans le P.I.B. européen doit passer à 20 %. Pour Reinhard Bütikofer, membre du Parlement européen et rapporteur sur la politique industrielle, c’est là un développement souhaitable – sous certaines conditions.

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M. Bütikofer, on disait que l’avenir appartenait aux services. Ce n’est désormais plus vrai aujourd’hui ?

Cela a toujours été faux. C’était une erreur de se fourvoyer dans une discussion opposant la « nouvelle » économie à « l’ancienne ». Le secteur de l’industrie et celui des services sont aujourd’hui toujours plus étroitement imbriqués. Certains parlent même de « manu-services ». Il est important de préserver les différentes chaînes de création 
de valeur en Europe ; ce que l’on perd est toujours difficile à reconquérir.

L’Europe a-t-elle pour autant vraiment besoin d’une ré-industrialisation de grande envergure ?

L’Europe a tout d’abord besoin d’une politique industrielle commune qui aurait pour objectif le renforcement de la capacité d’innovation et de la compétitivité. Depuis le début de la crise financière en 2008, l’Europe a perdu près de 12 % de ses industries de transformation. L’industrie a reculé de 20 à 30 % au Portugal, en Italie et en Espagne. C’est pourquoi on peut parler à juste titre d’une nécessité de réindustrialiser, et pas seulement dans ces pays.

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Le dernier rapport de la Commission européenne sur la compétitivité ne permet guère de penser qu’un tournant a été pris. Le pourcentage de l’industrie dans le P.I.B. de l’Union européenne est passé de 15,6 % en 2011 à 15,1 % en 2012. La distance nous sé-­parant de l’objectif des 20 % s’est donc accrue. La Commission européenne a néanmoins déterminé les quatre piliers d’une politique industrielle plus efficace qui permettrait d’atteindre cet objectif : des in­vestissements dans l’innovation, l’amélioration des conditions sur le marché, 
l’accès aux financements et au capital, et, enfin, les ressources humaines avec les 
qualifications.

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Comment la politique européenne peut-elle contribuer à ces piliers ?

Les moyens dont disposent la Commission et le Parlement pour faire avancer la politique industrielle sont assez limités. Tout dépend des États membres. Et des régions dans lesquelles il faut pratiquer une politique de grappes industrielles différenciée en recourant à tous les instruments de financement européens. La Commission européenne peut leur apporter un soutien. Elle peut aider les États membres et les régions à se coordonner et à apprendre les uns des autres. Elle peut faire avancer des technologies grâce à ses programmes de recherche et d’innovation. Elle doit créer de nouveaux modes de financement, notamment pour les PME/PMI. Elle doit continuer à développer le marché unique. Et, surtout, une politique macroéconomique erronée et des budgets restreints ne devraient pas l’empêcher de promouvoir une croissance durable.

Mais si tous les pays européens boostent leurs industries, n’est-ce pas un obstacle à la compétitivité de l’ensemble de l’UE ?

Pas si l’Europe coordonne ses mesures. Sinon oui. Chacun pour soi et tous les uns contre les autres ne peut qu’être nuisible. L’Europe doit œuvrer à ce que les branches performantes soient préservées, renforcées et modernisées, à ce que les régions se spécialisent et créent des symbioses. Ainsi, toute l’Europe y gagnerait.

En matière de politique industrielle, il existe en Europe les approches les plus diverses souvent issues de longues traditions économiques. Comment associer ces approches ?

Je suis partisan d’un régime écologique 
raisonné. Chez certains, cela provoque des résistances en raison de l’écologie et chez d’autres en raison du régime. Or nous ne devrions pas rechercher des victoires théoriques mais bien des succès concrets. Nous avons surtout besoin de structures de gouvernance efficaces et d’un meilleur usage des instruments existants.

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L’industrie est plus ou moins présente dans les pays européens en raison notamment des différentes philosophies en matière de politique économique. Dans certains pays, son pourcentage dans le P.I.B. est traditionnellement faible ; dans d’autres, la crise a encore fait diminuer le secteur industriel. Selon le rapport 2013 de la Commission européenne sur la compétitivité, l’industrie de transformation représente par exemple environ 10 % du P.I.B. en France, en Grande-Bretagne et en Grèce, près de 25 % en Tchéquie et environ 22 % en Allemagne.

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L’Allemagne a déjà atteint les 20 % de pourcentage industriel que l’UE vise. 
N’y aurait-il donc aucune raison de revoir le modèle allemand ?

Thomas Edison disait qu’il y a toujours moyen de faire mieux. Cela vaut aussi pour l’Allemagne et son industrie. Nous n’exploitons par exemple pas suffisamment les opportunités offertes par les réseaux numériques. L’innovation est un grand atout de l’économie allemande mais nous ne sommes guère performants dans le secteur de « l’innovation disruptive » qui remet en question le statu quo dans un secteur industriel déterminé avec des produits, des technologies et des modes d’activité totalement nouveaux.

Dans quels secteurs distinguez-vous 
des chances pour l’Allemagne dans une Europe plus industrialisée ?

La révolution industrielle que nous abordons offre des opportunités à presque tous les secteurs. Bien sûr, il nous faut renforcer les atouts existants déjà en Allemagne. Je vois de belles perspectives dans le secteur de la mobilité, dans une chimie plus écologique, dans la construction mécanique et dans un secteur énergétique offensif. Même l’industrie des matières premières a des chances avec ce concept. C’est aux entreprises de les saisir.

La formation actuelle convient-elle à l’industrie de demain ?

On ne saurait surestimer combien les 
« champions méconnus » dans les PMI dépendent de la qualification de leurs salariés. Or l’Europe va au-devant d’un manque d’ingénieurs et a besoin d’un plus grand nombre d’étudiants en sciences mathématiques, informatiques, naturelles et techniques. Je suis favorable à l’extension de la formation en alternance, en raison notamment du fait que les économies ayant ce système se sont avérées plus résistantes aux crises. ▪