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Des laboratoires pour les meilleurs cerveaux

Des mondes inconnus sont leur passion : plantes, espaces virtuels, grands fonds, espace. Comment des chercheurs de pointe en Allemagne repoussent les limites du monde connu.

16.03.2015
© dpa/Swen Pförtner - Stefan Hell

Pendant plus de 120 ans, la limite de la résolution des microscopes optiques était réputée infranchissable. En 1873, le physicien Ernst Abbe avait formulé qu’il était impossible de représenter très précisément des structures de même nature au-delà de 200 nanomètres. Il n’y avait donc aucune chance d’observer les cellules nerveuses. Il fallait être naïf – ou fou – pour vouloir franchir cette limite. Pourtant : 
« J’avais l’intime conviction que c’était possible » déclare aujourd’hui le professeur Stefan Hell. Le physicien a eu une astuce : en utilisant deux faisceaux laser sur des molécules fluorescentes placées sur les cellules il a fait briller ces cellules tour à tour et non pas simultanément. Une révolution qui lui a valu le prix Nobel de chimie en 2014. Hell n’a pas non plus oublié que c’était aussi parce qu’il avait franchi les limites de son pays. Enfant, il avait quitté la Roumanie pour l’Allemagne, plus tard il avait travaillé en Finlande sur le microscope STED. Puis il a rejoint l’Allemagne pour se consacrer à la recherche : à l’Institut Max Planck de chimie biophysique à Göttignen, qu’il dirige depuis 2002, il a pu développer son nouveau microscope pour l’introduire sur le marché. Hell ne s’est même pas laissé séduire par une offre d’Harvard. Par contre, il collabore étroitement avec le centre allemand de recherche sur le cancer à Heidelberg.

LE MICROSCOPE avec lequel le professeur Henry Chapman mesure des objets biologiques, par exemple des protéines, est, avec 315 mètres, de taille impressionnante : c’est un laser à électrons libres qui appartient au centre DESY d’accélérateurs de particules à Hambourg. 
Le Britannique, qui a étudié en Australie et fait de la recherche aux États-Unis, 
y dispose des meilleures conditions : depuis 2007 il est le directeur fondateur du 
« Center for Free-Electron Laser Science ». Les biomolécules sont des structures fragiles pouvant être rapidement détruites lorsqu’elles sont exposées à un rayonnement laser riche en énergie. Chapman a donc développé des programmes d’essais complexes qui requièrent une compréhension précise de l’interaction entre le rayon laser et les protéines. Pour ses travaux fondamentaux, il a obtenu en 2015 le prix Leibniz, le plus important prix allemand pour la recherche. Les travaux sur le laser à électrons libres touchent de nombreux autres domaines scientifiques

FRANCHIR LES FRONTIÈRES entre les disciplines scientifiques appartient au quotidien du professeur Johann-Dietrich Wörner, directeur de recherche expérimenté. Fin juin 2015, il deviendra directeur général de l’Agence spatiale européenne ESA. Johann-Dietrich Wörner est ingénieur civil de formation. Après avoir enseigné la statique et avoir été le président de l’université technique de Darmstadt, il dirige depuis 2007 l’Agence aérospatiale allemande DLR. Sous l’égide de cette institution Helmholtz, plus de 8000 scientifiques font aujourd’hui de la recherche dans les domaines de l’aéronautique, de l’énergie, de la circulation et de la sécurité. Wörner est persuadé qu’ « il y a 
en Allemagne une diversité de thèmes et 
d’instituts de recherche hors du commun ». Dans sa nouvelle mission de responsable de l’ESA à Paris, il veut promouvoir l’esprit européen au-delà des frontières et s’engager pour renforcer l’astronautique européenne. Il réalise aussi son rêve car, enfant, il était déjà passionné par l’espace : c’est sans réfléchir qu’il s’installerait à bord d’un vaisseau spatial partant pour Mars.

PAS SEULEMENT DANS L’ESPACE mais aussi sur terre, des espèces conquièrent sans cesse de nouveaux espaces vitaux. Le Gobie à taches noires, d’environ 20 centimètres de long, est un exemple remportant le plus grand succès. Ce poisson, passant plutôt inaperçu, est originaire de la mer Noire et on le rencontre maintenant dans les lacs d’Amérique du Nord où Elizabetha Briski, d’origine croate, l’étudie depuis plusieurs 
années. « Les questions sur lesquelles je veux me pencher concernent l’Europe, l’Asie et l’Amérique. C’est pourquoi j’ai décidé de retourner en Europe. » explique-t-elle. Avec le prix Sofja Kovalevskaja attribué à de jeunes chercheurs, Briski crée une équipe au Centre Helmholtz GEOMAR de recherche océanographique à Kiel. Comme jusqu’à maintenant les migrations des poissons dans le sens inverse – d’Amérique du Nord vers l’Asie – ont peu été étudiées, elle veut découvrir si les espèces de la mer Caspienne ou de la mer Noire sont génétiquement plus aptes à conquérir des espaces vitaux étrangers.

LA BIOLOGISTE Professeur Nicole Dubilier est également experte pour les espaces vitaux inhabituels auxquels elle accède avec les navires océanographiques Sonne, Maria S. Merian oder Meteor. Les grands fonds et les sédiments côtiers riches en sulfure présentent des conditions de vie hostiles comparables à celles dans l’espace. Nicole Dubilier, originaire des États-Unis, étudie depuis 2011 à l’Institut Max Planck de microbiologie marine à Brême, qu’elle dirige depuis 2013, comment des invertébrés, tels que les vers, parviennent à y survivre malgré la pénurie de ressources en énergie et nourriture. Elle déclare : « J’ai toujours voulu travailler dans cet institut car il offre des conditions optimales ». Elle a fait des découvertes fascinantes sur les modes de vie symbiotiques : des symbiotes tels que les vers se nourrissent indirectement en coopérant étroitement avec des bactéries qui leur préparent de la nourriture à base de matières présentes dans l’environnement hostile. Un 
« esprit d’équipe » que Dubilier apprécie par dessus tout dans ses travaux de recherches.

DANS UNE CERTAINE MESURE la pénurie en ressources est aussi un moteur pour Jürgen Leohold, responsable de la recherche de Volkswagen. Au programme de l’ingénieur électricien figurent des thèmes comme l’électromobililté, la construction légère et la conduite automatique. « Il y a de grands besoins de recherche, nous devons travailler dans différents domaines » dit-il. En tant que directeur de la recherche, il coordonne 
9300 collaborateurs hautement qualifiés. VW se situe en tête dans le monde entier pour ce qui est des dépenses pour la recherche et le développement et dispose à Wolfsburg d’un des principaux sites de développement de l’industrie automobile. En outre, le constructeur automobile co­opère avec de nombreuses universités et des instituts de la Société Fraunhofer.

LE GRAND ÉCART entre la science et l’économie est ce que fait Stephanie 
Mittermaier, scientifique spécialiste en agroalimentaire et responsable d’une équipe à l’Institut Fraunhofer pour les procédés et le conditionnement industriels près de Munich. Avec un thème dans le vent : les éléments pour l’alimentation végane – à partir du lupin. « Contrairement au soja, cette plante, contenant aussi beaucoup de protéines, pousse dans nos contrées, est facile à cultiver et n’est pas modifiée génétiquement » explique la chercheuse. Toutefois, le lupin a un goût d’herbe et de fève. Avec son collègue Peter Eisner, Mittermaier a développé un procédé pour extraire les saveurs désagréables. Les protéines de goût neutre peuvent servir à fabriquer du lait, du fromage, des gâteaux ou de la charcuterie. La première installation de production de la spin-off Prolupin a été lancée en 2013. La glace à base de lupin rencontre déjà un grand succès sur les marchés bio. C’est exactement ce qui, pour Mittermaier, fait l’attrait de la recherche en Allemagne : 
« Ici, je peux, avec une grande liberté, à haut niveau et avec des équipements de pointe, développer des produits innovants que l’on peut ensuite acheter dans les supermarchés ». En 2014, Mittermaier et ses collègues ont obtenu le Prix allemand de l’avenir qui récompensait aussi le fait que le lupin peut contribuer à une alimentation respectueuse des ressources pour la population mondiale croissante.

UN AUTRE REGARD sur la population est celui du professeur James Vaupel – celui du statisticien et du démographe. L’Américain a bouleversé la recherche en démographie : il a observé que les gens meurent de plus en plus vieux car le processus de vieillissement commence plus tard – une thèse qui contredit la supposition d’un âge maximum. En 1996, Vaupel est devenu le directeur-fondateur de l’Institut Max Planck de démographie à Rostock qui est aujourd’hui de renommée mondiale. Il est persuadé que ce n’est que grâce à la biologie que l’on peut comprendre ce qui détermine l’espérance de vie. Le scientifique de près de 70 ans a une idée précise sur son âge : il veut continuer à faire de la recherche, enseigner et apprendre jusqu’à 85 ans.

POURQUOI notre capacité d’apprentissage diminue-t-elle lorsque nous devenons adulte ? Comment combinons-nous la vue, l’ouïe et le toucher ? Dans quelle mesure le cerveau peut-il s’adapter à la cécité ou à la surdité ? Cette capacité d’adaptation dépend-elle de l’âge ? Des questions qui sont importantes pour la recherche sur la formation et la rééducation à laquelle se consacre Brigitte Röder. Cette professeure en psychologie biologique et neuropsychologie travaille dans des conditions idéales à l’université de Hambourg, aussi car elle fait partie du Centre de neurosciences de Hambourg. 
« Notre recherche ne fonctionne que dans ce groupement interdisciplinaire fait de psychologie, médecine et informatique » explique Röder. Après plusieurs séjours aux États-Unis, elle a finalement opté pour l’Allemagne en partie en raison des excellentes conditions de recherche et de la relève scientifique de haut niveau.

ONUR GÜNTÜRKÜN aussi est fasciné par le cerveau – et par les pigeons. « Ce sont mes animaux domestiques scientifiques » déclare ce professeur en psychologie biologique. Il étudie ces oiseaux capables d’apprendre et de penser dans son laboratoire de l’université de la Ruhr à Bochum. Il a découvert que le cerveau des pigeons et d’autres animaux sont aussi asymétriques – comme celui des humains, où l’orientation spatiale est localisée plutôt à droite et le langage à gauche. Cela donne des conditions idéales pour étudier comment les deux moitiés du cerveau se coordonnent. « Notre pensée naît dans le cerveau par l’activité de milliards de cellules nerveuses. Savoir comment cela mène à la pensée est la questions essentielle qui m’occupe » déclare Güntürkün. Élève en Turquie, il était déjà fasciné par la psychologie ; il a ensuite fait des études en Allemagne et de la recherche en France et aux États-Unis – avant de devenir professeur à Bochum où il transmet depuis lors son enthousiasme pour la pensée à ses étudiants.

LE CERVEAU ET LES PIGEONS pourraient très bien être des protagonistes dans les mondes que crée Leif Kobbelt. Le lauréat du prix Leibniz et le professeur en infographie à l’université RWTH d’Aix-la-Chapelle développe des méthodes pour produire des modèles numériques en 3 D d’objets complexes. Cet informaticien est considéré dans le monde entier comme l’un des principaux représentants du traitement des modèles géométriques et est l’un des pionniers d’une nouvelle approche, les « Point-based Graphics ». Une nouvelle étape afin que des machines complexes puissent simuler aussi exactement que possible des villes entières, planifier parfaitement des opérations chirurgicales ou créer des mondes imaginaires pour des jeux vidéo. Kobbelt est spécialiste pour repousser les limites – celles entre le monde réel et le monde virtuel.

www.humboldt-foundation.de/web/dossier-kovalevskaja-preis.html

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