Succès sans frontière
Neuf personnes qui ont grandi dans l’ex-RDA et ont fait carrière dans l’Allemagne réunifiée.

Jan Josef Liefers & Anna Loos
À L’AISE SUR TOUTES LES SCÈNES
Comme Jan Josef Liefers refusa de faire son service militaire en RDA, il n’eut pas le droit de passer le bac. Il entama une formation de menuisier et prit des cours dans une école de théâtre à Berlin. En 1987, il devint titulaire de la troupe du Deutsches Theater Berlin. Trois ans plus tard, l’année de la réunification allemande, ce comédien né à Dresde en 1964 passa au Thalia Theater à Hambourg où il se fit vite connaître d’un public panallemand. Il fit sa percée à l’écran en 1997 dans le film « Rossini » d’Helmut Dietl. Mais Liefers était déjà entré sur la scène politique le 4 novembre 1989 sur l’Alexanderplatz à Berlin : il s’était saisi d’un micro et préparait les manifestants à la fin prochaine de la RDA.
Liefers décrit volontiers le sentiment qui régnait dans les dernières années de la RDA comme une « passion de la tristesse », une expression de Tamara Danz, la chanteuse du groupe Silly, très populaire. Après le décès de Danz d’un cancer du sein en 1996, la comédienne et chanteuse Anna Loos, mariée depuis 2004 à Liefers, reprit le micro de Silly et l’aida à faire son comeback. Loos, née au Brandebourg en 1970, avait commencé sa carrière en 1993 au Schmidt Theater à Hambourg. Liefers et Loos ont souvent joué ensemble devant la caméra, entre autres dans le téléfilm « Nacht über Berlin – Der Reichstagsbrand » en 2013.
Maybrit Illner
UNE ASSISTANTE PLEINE DE CHARME
Pourquoi Maybrit Illner a-t-elle passé une partie de sa jeunesse, pendant les années 1980 très agitées, au « cloître rouge » près de Leipzig ? Cette animatrice de discussions télévisées, née en 1965 à Berlin-Est, répond aimablement à ce genre de questions, sachant que l’expression « cloître rouge » n’est plus guère connue du grand public un quart de siècle après la disparition de la République démocratique allemande. Il s’agissait de la section journalisme de l’université Karl Marx à Leipzig, à l’époque le seul site universitaire formant des journalistes en RDA.
Membre de l’organisation communiste de la jeunesse Freie Deutsche Jugend (FDJ) comme presque tous les Allemands de l’Est de son âge, Maybrit Illner fit ses études de journalisme après un stage à la rédaction sportive de la télévision est-allemande – même si ses parents auraient préféré que leur fille étudie le droit ou la médecine. Mais cette jeune femme sûre d’elle préféra rester à la télévision, passa en 1989 à la rédaction Étranger du Deutscher Fernsehfunk (DFF), puis en 1992 à la rédaction Politique de l’Ostdeutscher Rundfunk Brandenburg (ORB) et, six mois plus tard, à la chaîne ouest-allemande Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF) – tout d’abord comme animatrice, puis comme directrice du magazine du matin et de l’émission de débats sociétaux « Maybrit Illner ». La presse attestait à « la plus ancienne dans le métier » de « lèvres en cœur » et un « charme de garçon manqué » après qu’elle ait été l’assistante lors des quatre duels pour la chancellerie tenus à ce jour à la télévision avant les élections au Bundestag.
Neo Rauch
CELUI QUI VENAIT DU FROID
Quand on ne sait que dire sur Neo Rauch, on déclare généreusement qu’il est « l’un des peintres les plus importants de sa génération ». Les journalistes culturels allemands cultivés considèrent ses tableaux comme « naturalistes » ou « presque photo-réalistes », y découvrant « une tendance à l’informel » et un « faible pour les bandes dessinées et le surréalisme ». Les nostalgiques parmi les connaisseurs célèbrent, avec ce peintre né en 1960 à Leipzig, leurs retrouvailles avec le « style agitprop de l’art officiel est-allemand ». Celle qui l’a découvert, Roberta Smith, le fit connaître à l’international en 1999 en faisant allusion à l’origine de Rauch, le qualifiant de « peintre qui venait du froid » dans le New York Times.
Thomas Brussig
DES MONDES À L’ENVERS
L’écrivain Thomas Brussig, né en 1964 à Berlin-Est, disait que la RDA se laisse bien conter, mais à l’envers – contre la réalité, en contradiction avec le déroulement des événements. Il met à l’envers son existence bien réelle et le socialisme existant plus ou moins réellement, se réinvente – et le monde avec lui. Un esprit satirique qui prétend ne pas tout savoir mais le savoir mieux que les autres et tire des étincelles amusantes de la vérité historique. Le titre de son dernier livre « Das gibt’s in keinem Russenfilm » (Ça ne se trouve dans aucun film russe) peut servir d’avertissement à quiconque voudrait le prendre trop au sérieux.
Kathrin Menges
UNE FEMME POUR LA DIVERSITÉ
Le fabricant de colles et de détergents Henkel à Düsseldorf existe depuis 1876 et est une entreprise unique en son genre en Allemagne. Elle emploie près de 50 000 personnes, près d’un tiers de ses 9000 cadres sont des femmes – une rareté dans les entreprises industrielles allemandes. La présence des femmes à des postes de direction, c’est-à-dire aux trois niveaux hiérarchiques supérieurs de l’entreprise, devra être de 20 % dans un avenir proche, dit Kathrin Menges. Elle est depuis le 1er octobre 2011 membre du directoire du groupe – et la première femme au conseil de direction de l’entreprise depuis sa fondation il y a 139 ans.
Kathrin Menges, née en 1964 à Pritzwalk dans le Brandebourg, a fait des études de sciences de l’éducation à l’université de Potsdam et travaille chez Henkel depuis 1999. Elle dirigea tout d’abord la marque de cosmétiques Schwarzkopf à Hambourg, passa en 2005 au siège de l’entreprise à Düsseldorf et devint en 2009 directrice des ressources humaines.
Karamba Diaby
ENTRE TONNELLE ET NATION
Karamba Diaby, né au Sénégal en 1961, est le premier Africain subsaharien à être entré au Deutscher Bundestag en 2013. Diaby a d’abord étudié à l’université de Dakar, puis est venu en RDA avec une bourse au milieu des années 1980 pour y faire des études de chimie à l’université Martin Luther à Halle-Wittenberg.
Naturalisé allemand il y a 14 ans, il est depuis 2008 membre du Parti social-démocrate et depuis 2009 membre du conseil municipal à Halle/Saale. C’est dans l’université de cette ville que Diaby a passé son doctorat – sur la pollution dans les jardins ouvriers. Il n’est donc pas étonnant qu’il fit campagne avec des membres de son parti et des sympathisants pour son élection au Bundestag en 2013 dans les jardins ouvriers de la ville qu’il connaissait si bien, y discutant longuement, en voisin pour ainsi dire. Si bien qu’une nouvelle expression est entrée dans le vocabulaire des hommes politiques allemands : celle des campagnes allant « de tonnelle en tonnelle ».
Toni Kroos
LE MONDE À SES PIEDS
Toni Kroos est « au niveau footballistique le meilleur que j’ai vu depuis des années chez les jeunes », déclarait son ancien camarade de club Oliver Kahn en 2007. Toni Kroos, né à Greifswald, est passé en 2006 de l’équipe de jeunes du FC Hansa de Rostock au FC Bayern de Munich. A 16 ans, il devenait le plus jeune débutant en Bundesliga dans l’histoire du club détenteur de nombreux titres. La presse sportive promut l’ancien « enfant prodige » au titre de « pilier de l’équipe » et l’élut deux fois de suite « footballeur du mois ».
Sa carrière est vraiment remarquable : aujourd’hui sous contrat au club Real de Madrid, il remporta en 2014 le titre de champion du monde avec l’équipe nationale. Étant le premier et le seul footballeur allemand né en RDA – le 4 janvier 1990. Au lycée, Kroos ne faisait pas figure d’élève modèle mais de sportif fair-play : sur le terrain, il jouait au foot pieds nus pour donner au moins une chance – théorique – à ses camarades.
Leander Haussmann
UN CONTEUR INCONSTANT
Leander Haussmann est un descendant du poète allemand Friedrich Hölderlin, estiment certaines sources. La plupart mentionnent seulement qu’il est le fils d’un comédien et d’une costumière et que sa grand-mère paternelle épousa Hermann Hesse en première noce, alors que l’un de ses arrières-grands-pères se fit un nom au début du XXe siècle comme fabricant du légendaire couteau suisse. Ce qui est certain, c’est qu‘Haussmann est né en 1959 à Quedlinburg dans le Harz, fit une formation d’imprimeur après son bac, puis des études à l’École de théâtre Ernst Busch à Berlin-Est de 1982 à 1986.
Son travail comme comédien et metteur en scène – entre autres au Théâtre national de Weimar et au Schillertheater à Berlin – fut couronné par la direction de la Schauspielhaus à Bochum de 1995 à 2000, même si son contrat n’y fut pas prolongé pour cause d’absence de spectateurs et d’une bagarre mémorable à la cantine du théâtre. Haussmann a connu un succès triomphal en 1999 avec son premier film, « Sonnenallee », une comédie sur la jeunesse est-allemande dans les années 1970.