Aller au contenu principal

Pour en finir avec les héros

Curatrice de la 10ème Biennale de Berlin, la Sud-Africaine Gabi Ngcobo veut réécrire l'Histoire sans ses héros, en racontant de nouvelles histoires.

08.06.2018
La curatrice de la Biennale, Gabi Ngcobo
La curatrice de la Biennale, Gabi Ngcobo © Masimba Sasa

La 10ème Biennale de Berlin a pour titre « We don't need another hero ». Comment faut-il le comprendre ?
Les héros symbolisent généralement le pouvoir et les pouvoirs surnaturels. Mais à quoi sert le pouvoir si nous n'y avons pas accès ? Si le pouvoir ne sert pas l'intérêt général, mais qu'il est utilisé de manière abusive, que cela soit par les responsables politiques ou ses détenteurs, alors celui-ci est nuisible, voire hautement destructeur, comme l'Histoire nous l'a enseigné. La chanson de Tina Turner « We Don’t Need Another Hero » est sortie dans les années 1980, à une époque qui a été marquée par de grands troubles et changements politiques. Ça a été le cas en Europe avec la chute du rideau de fer, qui a eu des conséquences au niveau mondial. De nos jours, en 2018, nous sommes de nouveau confrontés à de nouveaux défis vis-à-vis de la migration, du nationalisme et du contrôle des frontières. La Biennale présente des artistes dont les travaux traitent de ces problématiques à plusieurs niveaux.

Las Nietas de Nonó
Las Nietas de Nonó © Ernesto Gomez

Les sujets sur lesquels vous travaillez sont les rapports de force, les narrations historiques, les structures de domination, la décolonisation. Quelle sera la teneur politique de la Biennale ?
Cette année, la Biennale de Berlin prend la capitale allemande pour point de départ pour explorer les diverses narrations dans lesquelles chacun d'entre nous est intégré. Nous ne voulons pas d'une exposition qui serait consacrée à une seule histoire ou à un sujet commun. En ces temps réactionnaires, une stratégie qui vise à contrer les abus de pouvoir consiste à montrer les nombreuses subjectivités qui nous entourent. Comment pouvons-nous dépasser le concept d'une Histoire unidimensionnelle ? Nous avons invité des artistes qui abordent ces questions d'une manière très personnelle. Je pense par exemple au duo d'artistes portoricaines « Las  Nietas de Nonò ». Les deux sœurs se sont demandées dans quelle mesure l'oppression exercée par l'État peut avoir des répercussions durables dans des domaines très privés et intimes de la vie de famille. Je m'intéresse aux artistes qui sont en mesure de présenter ce type de dynamiques.

Berlin fait aujourd'hui partie des villes les plus cosmopolites
Gabi Ngcobo, curatrice de la 10ème Biennale de Berlin

Vous avez dirigé des expositions dans plusieurs villes. Quelle est la particularité de Berlin en tant que lieu d'exposition ?
Je trouve que Berlin est une ville fascinante, qui a énormément de choses à offrir sur un plan historique, géographique et culturel. Elle fait aujourd'hui partie des villes les plus cosmopolites. Comme lors des précédentes éditions de la Biennale, nous avons choisi d'exposer dans plusieurs lieux à travers la ville, parmi lesquels l'Académie des arts de Berlin et le Z/KU – Centre d'art et d'urbanisme, de manière à transporter le discours sur les œuvres d'art au-delà du lieu d'exposition principal et d'inclure le plus possible de lieux qui contribuent à produire un discours sur l'art. La coexistence d'institutions célèbres, qui représentent un vieil héritage historique, et d'organisations  qui ont été créées récemment et qui sont dirigées par les artistes eux-mêmes, rend compliqué le discours dominant ou établi sur l'art. Il est crucial de donner plus de possibilités de participation aux artistes quant il s'agit d'établir un canon. Les artistes produisent du savoir et selon moi ils devraient être valorisés à ce titre. Le choix des lieux d'exposition de la Biennale de cette année reflète, je l'espère, cette volonté.

Quels sont les points du programme et les artistes que vous avez particulièrement hâte de voir ?
Je me réjouis de notre programme public, des possibilités qu'il offre au grand public de participer activement à l'art et d'en faire l'expérience. J'espère avant tout que nous allons avoir plus d'influence sur le dialogue et le discours sur l'art et que nous pourrons poser la question de savoir qui peut et qui ne peut pas participer à ce dialogue. Je souhaite que l'exposition puisse toucher des gens venus d'horizons les plus divers possible. Je pense que le choix des artistes reflètent notre volonté de ne pas choisir des héros ou des champions individuels mais au contraire de produire une narration à plusieurs voix, par le biais de laquelle des histoires nouvelles, jusqu'à présent inédites, pourront se cristalliser.

Interview: Martin Orth

© www.deutschland.de