Aller au contenu principal

Des vêtements qui racontent des histoires

Enfant, la créatrice de mode Bisrat Negassi a fui l’Érythrée avec ses parents pour trouver refuge à Hambourg. Dans une interview, elle raconte sa vie et son travail.

Interview: Ana Maria Michel, 20.04.2023
Raconter des histoires avec la mode : Bisrat Negassi
Raconter des histoires avec la mode : Bisrat Negassi © Björn Lux

Bisrat Negassi est née au début des années 1970 à Asmara, la capitale de l’Érythrée. Enfant, elle a fui avec sa famille en Allemagne. Elle a étudié la création de mode avant de créer en 2004 sa marque Negassi à Paris. Elle est cofondatrice de l’espace culturel M.Bassy et directrice de la collection Mode et textile au Musée des Arts et Métiers de Hambourg. En 2022 est paru son livre « Ich bin » (Je suis) aux éditions Goldmann-Verlag.

 

Madame Negassi, qu’est-ce qui vous fascine dans la mode ?

La mode en raconte beaucoup sur nous et c’est la première chose que nous percevons des autres. C’est une langue qui s’entend visuellement. Dès qu’un vêtement atterrit entre les mains d’une personne, il entre dans une histoire. La mode n’a rien de figé, chaque tâche, chaque pli raconte quelque chose. Que ce soit avec les vêtements, le maquillage ou la coiffure, si nous le souhaitons nous avons une liberté infinie pour nous réinventer sans cesse. La mode est également un système d’inclusion et d’exclusion. Elle divise et peut diviser des sociétés en classes.

Je prévois aussi des coopérations avec des créatrices et créateurs avec des racines africaines. Je trouve que ces travaux doivent être vus, ils font partie de l’histoire européenne du design.
Bisrat Negassi, créatrice de mode

Dans quelle mesure votre mode raconte-t-elle aussi votre histoire personnelle ?

Il est certains que mes croquis contiennent des aspects qui me préoccupent sur le moment ou qui m’ont déjà préoccupée. Tout comme les voyages et expériences qui m’ont marquée et qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. Mais dès qu’une pièce arrive chez une cliente, elle écrit sa propre histoire avec. La mode peut aussi être un abris. Ainsi, une robe avec un motif fleuri que ma mère portait lors de notre fuite éveillait toujours un sentiment de protection chez moi, malgré les circonstances. Tout comme une robe à froufrou que j’avais enfant. En tant qu’adulte, c’est plutôt la couleur, le noir par exemple, qui m’offre une protection.

Depuis fin 2022, vous êtes directrice de la collection Mode et textile du Musée des Arts et Métiers de Hambourg. Quels sont vos projets ?

À partir de l’été 2023, je démarre avec des écolier·ère·s, étudiant·e·s et créatif·ve·s de Hambourg un programme-cadre sur le sujet Développement durable et upcycling. L’appropriation culturelle et la valorisation culturelle, le colonialisme et le racisme sont aussi des sujets importants pour moi et que je souhaite associer en rapport avec la mode. Je prévois aussi des coopérations avec des créatrices et créateurs avec des racines africaines. Je trouve que ces travaux doivent être vus, ils font partie de l’histoire européenne du design.

Le colonialisme est un sujet qui n’est pas encore traité en Europe et qui s’étend comme une ombre sur notre époque.
Bisrat Negassi, créatrice de mode

Y a-t-il dans la collection des pièces issues de contextes coloniaux ?

La collection est très grande et je ne suis pas encore là depuis assez longtemps pour connaître chaque pièce. Mais il y a un poste pour la recherche de provenance qui mène des recherches pour connaître l’origine des objets. Le colonialisme est un sujet qui n’est pas encore traité en Europe et qui s’étend comme une ombre sur notre époque. Et tant que le passé colonial ne fait pas partie intégrante des enseignements scolaires, les rapports entre le colonialisme, la migration et le racisme structurel ne seront pas compris. J’essaie d’intégrer ce sujet à mon travail, avec M.Bassy également.

M.Bassy est un espace culturel de Hambourg pour les créatif·ve·s d’Afrique et de la diaspora que vous avez cofondé en 2016 et dont vous êtes aussi commissaire. Comment le projet est-il né ?

Il me manquait un espace pour un dialogue qui ne soit pas unilatéral et eurocentré. Désormais, plus de 70 artistes de différent pays ont été invité·e·s chez nous. Par exemple Angélique Kidjo du Bénin, qui a remporté cinq fois le Grammy. Ou encore Andrew Dosunmu, le réalisateur nigérian qui vit à New York. Chez M.Bassy, notre programme couvre l’art, la littérature la musique, mais aussi la mode. Le créateur Lamine Kouyaté derrière la marque Xuly.Bët, qui misait déjà sur l’upcycling dans les années 1990, est passé chez nous. Tout comme la marque Marché Noir, qui travaille avec des vêtements de seconde main qui sont envoyés de la France vers l’Afrique de l’Ouest en tant que vieux vêtements puis repartent à nouveau vers leur point de départ. La devise est la suivante : « Vous nous l’envoyez come un déchet. Et je vous le vend comme un trésor ! »

Quel rôle joue le sujet du racisme chez M.Bassy ?

Le racisme est une expérience douloureuse. Il faut arrêter de remettre en question les expériences racistes des personnes concernées ! Les personnes qui ne sont pas concernées doivent réfléchir à leurs propres expériences du racisme : quand elles se sont surprises à avoir des pensées racistes pour la première fois et ce qu’elles ont fait contre. Les personnes concernées ne peuvent rien changer, cela ne réussira qu’ensemble. Nous avons aussi des discussions semblables chez M.Bassy où il s’agit d’arriver à un dialogue avec des personnes qui ne sont pas concernées.