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« Je me faisais beaucoup de souci »

Il y a un an, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a vécu de près les attentats à Paris. Il s’en souvient au cours de cette interview.

10.11.2016
© dpa/Eventpress Stauffenberg - Brandenburg Gate

Berlin (dpa) – Ce fut l’un de ces moments que l’on n’oublie pas. Le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier était présent lorsque la série d’attentats commença à Paris le soir du 13 novembre 2015. Il était au Stade de France avec le président français François Hollande pour assister au match de foot opposant la France à l’Allemagne.

 

dpa : Vous étiez assis dans la tribune officielle à côté du président Hollande. Avez-vous immédiatement pensé à un acte terroriste lorsque vous avez entendu les explosions ?

Frank-Walter Steinmeier : lorsqu’il y eut ces deux explosions extrêmement fortes pendant la première mi-temps, j’ai ressenti la même chose que tous les autres spectateurs dans le stade : je n’avais aucune idée de ce qui s‘était passé. J’ai d’abord pensé à des pièces d’artifice allumées par des supporters irresponsables.

 

Quand et comment avez-vous appris qu’il y avait eu des attentats ?

Environ un quart d’heure avant la mi-temps, un agent de sécurité français s’approcha du président Hollande et nous informa qu’il y avait eu plus d’une explosion devant le stade. Quelques minutes plus tard, il revint et nous appris qu’il y avait eu des morts. Ce fut un choc. Nous nous demandions naturellement si nous ne devions pas interrompre le match. Après des consultations pendant la mi-temps, il fut décidé de poursuivre le match pour ne pas provoquer de mouvement de panique. Le président Hollande quitta le stade pour prendre la direction de la cellule de crise. On nous pria de retourner dans la tribune officielle afin que les spectateurs ne s’inquiètent pas.  

 

Qu’avez-vous ressenti à ce moment ?

J’étais assis dans la tribune et des milliers de pensées me traversaient l’esprit, et elles n’avaient certainement rien à voir avec le foot. C’était un sentiment terrible parce que des informations toujours plus nombreuses sur les autres attentats en ville nous parvenaient. Mais il était important de garder son calme afin de ne pas provoquer de mouvement de panique.

 

Avez-vous craint pour votre vie ?

Non mais je me faisais naturellement beaucoup de souci – pour les gens dans le stade et en ville. Ma plus grande crainte était que la nouvelle des attentats ne se répande dans le stade et que les spectateurs ne soient saisis de panique. Mais la police a fait un excellent travail. C’est grâce à elle que le stade a pu être évacué après le match sans morts ni blessés.

 

On parlait à l’époque d’un 11 septembre 2001 pour l’Europe. Avec le recul d’un an, voyez-vous toujours les choses sous cet angle ?

On ne saurait comparer des événements aussi terribles. Ce qui est sûr, c’est que ces attentats s’attaquaient à toute l’Europe, à notre mode de vie, à notre culture, à nos valeurs. Les Américains avaient probablement le même sentiment après le 11 septembre.

 

Il y avait déjà eu de graves attentats auparavant en Europe, à Londres, à Madrid, contre la rédaction de « Charlie Hebdo » à Paris. Pourquoi le choc a-t-il était encore plus violent que lors des attaques précédentes ?

Les autres attaques terroristes ont elles aussi été un choc, chacune d’entre elles. Les attentats du 13 novembre semblaient avoir été froidement coordonnés et accomplis sans aucun scrupule. On ne pouvait que penser que la bande de terroristes de Daech était maintenant arrivée au cœur de l’Europe. N’oubliez pas que, depuis l’été 2014, nous avions assisté à l’avancée de Daech en Irak puis en Syrie. L’incroyable brutalité de cette bande de terroristes a infligé une immense souffrance aux habitants de ces deux pays. Et elle était maintenant arrivée chez nous, en Europe.

 

Le gouvernement fédéral a réagi comme après le 9/11, exprimant son entière solidarité – à l’époque avec les Etats-Unis, cette fois-ci avec la France. Début 2002, l’armée allemande a été envoyée en Afghanistan ; il y a un an, elle est entrée en guerre contre l’EI (l’autre nom de Daech) en Irak et en Syrie en réaction aux attentats de Paris. Aurait-on sinon pris cette décision ?

Le 13 novembre, ce n’est pas seulement Paris mais toute l’Europe qui a été touchée, l’Allemagne aussi, nous aussi. Nous n’avons jamais mis en doute notre solidarité avec la France dans ces heures difficiles. Pendant le vol me menant de Paris à Vienne – allant juste après le match à la conférence sur la Syrie qui s’y déroulait –, j’ai spontanément envoyé un tweet l’affirmant. Mais, avant même l’attentat, nous étions tous conscients que Daech ne peut être vaincu sans moyens militaires. La communauté internationale avait déjà formé une coalition anti-EI en marge de l’assemblée générale de l’ONU à l’automne 2014. Et, en août 2014, nous avions déjà pris la difficile décision de fournir aux Peschmergas, outre une aide humanitaire, une formation et un équipement militaires. C’était la bonne décision à l’époque et ça l’est toujours. Mais, naturellement, on ne peut vaincre le terrorisme uniquement par les armes. Ce dont nous avons besoin, c’est de perspectives pour les gens et de stabilité au Moyen-Orient.

 

Le risque terroriste est-il aussi devenu la normalité en Allemagne aussi ?

Nous ne vivons pas sur un îlot de béatitude en Allemagne. Le terrorisme est un danger international, ce risque nous concerne aussi.  Il n’existe pas de sécurité absolue mais nos forces de sécurité font tout pour minimiser le risque d’attentats. Les attentats qui ont été évités, comme ceux qui n’ont pu l‘être, ont montré que nous avons besoin que nos services de sécurité européens coopèrent étroitement. Nous continuons à étendre cette coopération.

 

Les mesures de sécurité prises en Allemagne sont encore modérées par comparaison avec la France et la Belgique. Les gouvernements à Paris et Bruxelles n’hésitent pas à faire protéger les aéroports et les attractions touristiques par des soldats lourdement armés. Y viendra-t-on aussi en Allemagne après un attentat de grande envergure ?

Chez nous aussi, les services de sécurité sont très vigilants. Mais nous ne laisserons pas des meurtriers perfides gâcher notre mode de vie. Nous devons évaluer les dangers et les risques de manière réaliste. Mais il ne sert à rien de vivre dans la peur en permanence. Nous faisons tout pour donner les bons instruments à nos services de sécurité afin de prévenir autant que possible les attentats terroristes.

 

Source: dpa; traduction : FSM