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Le football d’aujourd’hui

Ronald Reng connaît le rapport existant entre le nœud à utiliser pour nouer ses lacets de chaussure et la précision du jeu de football.

19.03.2014
© Thomas Kujansun/E+ - Sport

Hier, lorsque je suis allé chercher mon fils de sept ans à l’entraînement de foot, j’ai été effaré. L’entraîneur avait un bandeau sur l’œil. Mon Dieu !, me disais-je, a-t-il eu un accident qui l’a rendu borgne ? Puis, j’ai regardé autour de moi. Toute l’équipe, y compris mon fils, jouait au football avec un œil bandé. L’entraîneur voulait qu’en jouant, ils s’exercent à mieux voir avec leur œil faible, m’a expliqué mon fils 
sur le chemin du retour. C’est pourquoi l’entraîneur leur avait masqué l’œil fort d’un bandeau de pirate pendant l’entraînement.

« Génial, pas vrai », a dit mon fils. Je ne savais pas quoi dire. Était-ce vraiment formidable que, dans un club munichois de simples amateurs, un enfant de sept ans apprenne à tenir compte d’un détail comme « l’œil faible » ? Ou n’était-ce pas pousser l’ambition un rien trop loin ? L’entraîneur de mon fils est constructeur de machines. Dans le monde entier, les Allemands sont réputés dans deux domaines : ils savent construire des 
machines et jouer au football. Mais c’est seulement maintenant que ces deux passions s’associent : la précision et la méthodologie du constructeur de machines se sont introduites dans le football allemand.

Il y a 15 ans à peine, le football allemand était fier de sa simplicité : les footballeurs allemands, pensaient les Allemands, gagnaient 
les matchs grâce à leur volonté indomptable et à leur supériorité physique. C’est encore ce que nous croyions quand les footballeurs allemands ne gagnaient plus depuis longtemps. Le nouveau plaisir du jeu et l’esthétique extraordinaire du onze allemand actuel 
sont souvent considérés comme le reflet de l’Allemagne moderne, plurielle et haute en couleurs. Il est vrai que le onze national est un modèle d’intégration réussie, avec des footballeurs d’origine tunisienne, turque et bavaroise. Mais, en fait, cette nouvelle légèreté aux niveaux technique et tactique est moins le fruit d’une société ouverte sur le monde que de la pénétration dans le football allemand de la mentalité du constructeur de machines. C’est un jeteur de ponts, Helmut Groß, qui a lancé cette mode de réflexion méthodique dans le football allemand, à la fin des années 90, lorsqu’il était responsable des jeunes pousses du club VfB Stuttgart, membre de la Bundesliga. Aujourd’hui, quand j’assiste à l’entraînement de mon fils, je me sens toujours très vieux. Car je songe aux méthodes d’entraînement d’il y a 30 ans, lorsque j’apprenais le foot, tout gosse que j’étais. On se mettait tous en rang et chacun de nous pouvait tirer un but. Aujourd’hui, mon fils et ses amis suivent en synchrone un parcours de tâches dont la seule vue me paraît trop compliquée. Mais les enfants savent ce qu’on attend d’eux – d’abord faire du pied gauche une passe au partenaire de droite, puis piquer un sprint, sauter par-dessus trois petits obstacles, reprendre le ballon et shooter du pied droit pour marquer un but – et ça marche !

J’ai déjà eu du mal à supporter d’être marié à une femme qui est une bien meilleure journaliste que moi. Or maintenant, j’ai aussi un fils qui joue au foot nettement mieux que moi ! Car il sait 
tirer du pied gauche et du pied droit et arrêter le ballon sans même se rendre compte de la difficulté que cela représente. Aujourd’hui, l’entraîneur de mon fils nous a invités, nous les parents, à une soirée d’information. On s’est retrouvé dans une pizzeria. L’entraîneur nous a expliqué 
le système selon lequel les enfants vont jouer (Jouer selon un 
système ! À sept ans !), après quoi il a posé une chaussure de 
football sur la table, entre les pizzas. Et il nous a montré comment nous devions nouer les lacets de nos enfants. (En faisant non 
pas un nœud de ménagère, mais un nœud « Ian » !) Je suis 
rentré chez moi, un peu étourdi. J’étais donc encore bon à ça, 
mais même nouer des lacets de chaussure, je ne le faisais apparemment pas correctement. ▪

Ronald Reng est journaliste sportif et auteur. Sa biographie de footballeur « Le gardien des rêves » a été un best-seller. A paru dernièrement « Spieltage : Die andere Geschichte der Bundes­liga » (Jours de matchs: l’autre histoire de la Bundesliga).