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Entre jeu 
et réalité

Commerce des armes, mort et deuil, l’univers du travail moderne : le collectif Rimini Protokoll intègre à ses mises en scène des expériences vécues par les interprètes.

23.09.2015

Les acteurs sont des spécialistes du paraître. 
Ils se glissent dans le rôle d’autres experts – 
de la soif du pouvoir, du chagrin d’amour 
ou du salut du monde – et les incarnent de 
façon plus convaincante que les originaux 
eux-mêmes. Lorsque les personnes prises pour modèles tentent de camper leur propre rôle, leur prestation manque souvent de crédibilité. Car au théâtre, les experts de la vraie vie sont des amateurs. S’inspirant de cet étrange rapport entre la réalité maladroite et l’authenticité jouée, le collectif de mise en scène suisse-allemand Rimini Protokoll donne naissance à des formes scéniques originales. Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel travaillent à partir de vécus 
authentiques depuis l’an 2000.

Ainsi, la pièce « Karl Marx – Le Capital, 1er volume » (2006) 
expose les impressions de divers experts qui ont eu affaire à cette œuvre majeure dans un contexte professionnel. Dans « Deadline » (2003), ce sont les experts de la mort qui sont au centre de l’attention. « Sabenation » (2004) met en scène des anciens employés de la compagnie aérienne belge Sabena 
qui a fait faillite en 2001. Chacune de ces pièces encourageant expressément les points de vue personnels, les interprètes sont à la fois les auteurs du drame. Or, cet excès apparent d’inexpérience ne glisse que très rarement dans le ridicule. 
Si Rimini Protokoll compte délibérément sur la gêne suscitée par le jeu amateur pour révéler le leurre de la réalité représentée au théâtre, le collectif et ses acteurs courageux parviennent néanmoins à composer des scènes très variées et 
à traiter de façon ludique des thèmes concrets.

Mais Rimini Protokoll ne s’appuie pas uniquement sur le contraste des experts-amateurs pour évoquer la problématique de la manipulation des spectateurs du fait de la maîtrise qui caractérise généralement le théâtre de mise scène traditionnel. Ainsi, les trois auteurs et metteurs en scène ont régulièrement recours à une seconde forme scénique dans laquelle ils s’essaient à télécommander la perception à l’aide d’une 
distanciation technique. Guidés par des messages diffusés à l’aide de casques audio, les spectateurs sont conduits à travers une ville ou un ancien aéroport. Ils reçoivent des ordres, entendent des interprétations étranges de ce qui les entoure ou sont incités à jouer des saynètes en public. Ce faisant, l’interrogation demeure sur le sens de ce conditionnement opéré depuis l’extérieur – s’agit-il d’un présent ou d’une démonstration fielleuse du renoncement à soi ?

Primé de nombreuses fois, le projet le plus complexe de 
Rimini Protokoll marie la commande à distance à la rencontre avec des spécialistes dans le cadre d’une installation ayant pour thème la vente d’armes. Muni d’une tablette, le spectateur rencontre des victimes et des profiteurs véritables du commerce de la violence. Le tout dans un grand box où sont aménagés plusieurs décors authentiques, les « Situation Rooms » (2013) qui ont donné leur nom à la pièce. Suivant 
les indications précises de guides invisibles, les visiteurs se glissent eux-mêmes dans le rôle d’experts de la sécurité, 
de victimes d’armes à feu ou d’observateurs des excès de 
violence militaire. Cette chaîne d’infos en mode interactif 
démontre de façon choquante la force d’une toute nouvelle forme du théâtre de faux-semblant. Depuis sa création il y a près de quinze ans, Rimini Protokoll repousse avec succès les limites du théâtre européen. ▪