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Grand auteur avec un cœur pour les petits

Heinrich Böll naquit il y a 100 ans. Peu d’auteurs ont autant participé aux débats sociaux.

20.12.2017
Heinrich Böll
Heinrich Böll © dpa

Cologne (dpa) – Quel genre d’homme était Heinrich Böll ? Il y a une scène qui le décrit assez bien : une conférence de presse à Cologne – il s’agissait de l’aide pour les réfugiés vietnamiens. Toutes les télévisions avaient installé des caméras ; Friedrich Nowottny, directeur des studios de l’ARD à Bonn, était présent – il s’agissait quand même du prix Nobel de littérature ! Un jeune reporter – qui écrivait pour un petit journal de gauche – annonça qu’il voulait interviewer Böll après la conférence. Cela amusa les correspondants : il s’imaginait avoir un entretien individuel !

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Mais, la conférence de presse à peine terminée, Böll se tourna vers le jeune homme et répondit patiemment et aimablement à chaque question – il entama même une discussion avec lui. Les correspondants durent attendre, certains bouillaient de rage. Bien longtemps après, Rupert Neudeck, qui a lancé le Cap Anamur, se souvenait : « Böll avait cette faculté que j’ai rarement retrouvée chez des grands hommes : s’impliquer pour de petites choses. »

Il se disputait avec tout le monde

Par contre, tout au long de sa vie, Böll fut méfiant vis-à-vis des gens importants. Ce Rhénan, pas très sympathique ou amusant, qui naquit un jeudi (21 décembre) il y a 100 ans, se disputait avec tout le monde : avec la CDU, les organisations professionnelles, l’armée, les éditions Springer, l’église catholique, mais tout autant avec le SPD qu’il qualifia du « pire de tous les partis ».

Il ne le pouvait que parce qu’il représentait lui-même un pouvoir – l’incarnation de l’« autre Allemagne ». Lors d’un sondage au milieu des années 1970, des leaders d’opinion l’élirent personnage le plus influent en Allemagne de l’Ouest, après le chancelier Helmut Schmidt, le président du SPD Willy Brandt et le chef de la CSU Franz Josef Strauß. Tout le monde connaissait ce visage fané aux joues pendantes, la bouche un peu ouverte et le regard mélancolique.

Nous avons perdu Böll. Mais par contre nous avons Amnesty et Greenpeace.
Hans Magnus Enzensberger

Deux ans après sa mort le 16 juillet 1985, l’écrivain Hans Magnus Enzensberger déclara : « Nous avons perdu Böll. Mais par contre nous avons Amnesty et Greenpeace ». Au cours des premières décennies de la République fédérale, Böll remplit à lui seul le rôle d’organisations qui furent été créées par la suite. 

Dans ses romans, ce libraire de formation traita de tous les sujets sensibles de la société d’après-guerre de l’Allemagne de l’Ouest : le passé nazi refoulé, la poursuite du pouvoir par l’ancienne élite, la fixation sur la consommation et la possession, le réarmement et la morale équivoque de l’église catholique. Chacun de ses nouveaux livres fut un best-seller qui occupa les médias pendant des semaines et ouvrit un large débat social.

Cette voix, qui n’a rien d’un organe métallique, douce mais distincte, insistant sur le côté humain, s’attaquant au caractère petit-bourgeois.
Willy Brandt au sujet de Heinrich Böll

A cela se sont ajoutés ses discours, ses interviews, ses articles. « C’est inoubliable : ce manque bienfaisant de caractère démoniaque. Cette voix qui n’a rien d’un organe métallique, douce mais distincte, insistant sur le côté humain, s’attaquant au caractère petit-bourgeois » comme l’a décrit Willy Brandt.

Böll fut par exemple l’un des premiers, dans les années 1950, à écrire pour s’opposer au refoulement du sujet de l’holocauste. Après la guerre, l’holocauste ne figurait pas au programme scolaire. Lorsque, en 1954, Böll se rendit dans une classe de Cologne, aucun des 40 élèves n’en avait entendu parler. 

Mal-aimé de la critique littéraire

Après cela il écrivit dans un article : « Nous prions pour les morts, pour les disparus, pour les victimes de la guerre mais notre conscience disparue ne réussit pas à dire une prière, publique, formulée de manière claire et univoque, pour les juifs assassinés ». 

Alors que l’engagement socio-politique de Böll est incontestable, son rang littéraire est sans cesse remis en cause. Le critique Marcel Reich-Ranicki – que Böll avait beaucoup aidé à faire ses débuts en Allemagne de l’Ouest – l’attaqua en 2008 : « Parlons clairement : il reste déjà peu de choses. Et il en restera naturellement de moins en moins. Entre-temps, tous ses romans sont tombés dans l’oubli ».

On ne peut guère dire cela dans l’ensemble. Les ouvrages de Böll ne font bien sûr plus obligatoirement  partie des livres lus en classe comme dans les années 1970 et 1980. Pour bien des choses, la période est révolue. Et il y a bien sûr des points faibles – Böll a par exemple écrit de manière maladroite sur tout ce qui portait sur les femmes, l’amour et le sexe. Mais, d’autre part, son œuvre est de plus en plus estimée avec le temps qui passe. 

Plus important que jamais

W.G. Sebald (1944-2001), spécialiste littéraire et lui-même auteur, fut le seul écrivain allemand à réfuter le reproche fait à Böll d’avoir échoué face à l’horreur de la guerre aérienne et des villes allemandes détruites. Son roman « Le silence de l’ange » (1949/50) n’a été publié qu’en 1992, des années après sa mort – à l’époque de l’après-guerre les éditeurs pensaient ce n’était pas judicieux.

Le roman « L’honneur perdu de Katharina Blum » (1974), dans lequel Böll décrit la condamnation publique et la calomnie d’une honnête femme par un journal à sensation, gagne en pertinence à l’ère des fake news et des flots d’insanités.

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