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« Une contradiction uniquement en apparence »

Comment ce « changement d'époque » s'accorde-t-il avec les valeurs du multilatéralisme et d'un ordre mondial fondé sur des règles ? L'éclairage de Jonas Driedger, chercheur du confli

Interview: Helen Sibum , 19.02.2023
Peinture murale sur la façade d'un immeuble d'habitation détruit à Kiev
Peinture murale sur la façade d'un immeuble d'habitation détruit à Kiev © picture alliance/dpa

Le « changement d'époque » a été l'expression de l'année 2022 en Allemagne. Le chancelier allemand Olaf Scholz l'a utilisé en faisant référence au début de la guerre russe contre l'Ukraine. Que voulait-il dire par là ?
Cela signifiait qu'un ajustement fondamental de la politique étrangère et de sécurité allemande allait avoir lieu. Concrètement, Olaf Scholz a annoncé un énorme investissement dans l'armée allemande,

des livraisons d'armes à l'Ukraine et la suspension de la procédure de certification du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l'Allemagne.

Jonas Driedger
Jonas Driedger © TraCe

La politique étrangère de l'Allemagne défend les principes du multilatéralisme et d'un ordre mondial fondé sur des règles. Comment cela s'accorde-t-il à cette nouvelle ère ?
Arrêtons-nous d'abord sur le principe d'un ordre mondial fondé sur des règles : on pourrait penser que la livraison d'armes à l'Ukraine constitue une contradiction, mais on peut aussi voir les choses autrement. Se porter garant d'un ordre mondial fondé sur des règles, cela signifie prendre au sérieux les règles du système international, les défendre et sanctionner les violations graves de ces règles. La souveraineté des différents États constitue la colonne vertébrale de cet ordre mondial. La conquête et l'annexion du territoire d'un pays souverain constituent une violation considérable de celle-ci. Le droit à l'autodéfense des États est également un principe fondateur de cet ordre mondial fondé sur des règles auquel nous adhérons, tout comme le droit de recevoir de l'aide dans ce cadre.

Comment le changement d'époque s'accorde-t-il avec le multilatéralisme ?
Agir de manière multilatérale signifie certes que l'on parle avec ses adversaires et que l'on essaie de résoudre les conflits au sein des institutions. Mais cela signifie également que l'on fait cela en accord avec ses propres alliés. Dans le cas de l'Allemagne, il s'agit en premier lieu de l'UE et de l'OTAN. Il aurait donc été bien plus unilatéral, par exemple, de s'opposer aux sanctions contre la Russie. Je remettrais donc en question l'apparente contradiction que constitue un soutien robuste à l'Ukraine d'une part et une focalisation sur les valeurs du multilatéralisme et d'un ordre mondial fondé sur des règles d'autre part.

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Dans quelle mesure ce changement d'époque modifie-t-il le rôle de l'Allemagne en tant qu'acteur géopolitique?
Ce qui est nouveau, c'est que l'Allemagne envoie des armes, y compris des armes de guerre, dans ce type de zone de crise et qu'elle renforce en même temps considérablement ses propres capacités militaires. En parallèle, ce changement d'époque a entraîné une réorientation de la réflexion sur l'Ukraine et la Russie. En Allemagne, entre 2014 et début 2022, on a toujours parlé de « guerre en Ukraine », une expression dans lequel la Russie n'apparaît pas. Dans les traités pour lesquels l'Allemagne et la France se sont également portées garantes – les protocoles de Minsk et le format Normandie –, la Russie n'était même pas officiellement partenaire du conflit et l'Ukraine a dû faire de nombreuses concessions. Aujourd'hui, y a désormais un consensus en Allemagne sur le fait que l'Ukraine doit être soutenue sur un plan économique et militaire et que le régime en Russie mène une guerre d'agression criminelle.

La Bundeswehr est une armée parlementaire et elle le restera.
Jonas Driedger, chercheur du conflit

Y a-t-il tout de même des continuités malgré ce changement d'époque ?
Oui, l'Allemagne n'est pas proactive dans le domaine militaire, elle reste plutôt réactive, ne serait-ce que pour des raisons structurelles : La Loi fondamentale est en quelque sorte une machine à empêcher les guerres d'agression. De plus, l'Allemagne applique le principe des ministères : tout ce qui est nécessaire à la conduite d'une guerre est réparti entre différents ministères. Au-delà de cela, la Bundeswehr est une armée parlementaire et elle le restera. Et l'Allemagne continuera d'agir de manière multilatérale, comme l'a montré récemment le débat sur les livraisons de chars. Ce

changement d'époque ne signifie donc pas que l'Allemagne va ressusciter en tant que géant wilhelminien et unilatéral.

Ce changement d'époque va-t-il s'inscrire dans la durée ?
Malgré les restrictions mentionnées : étant donné que l'opinion fondamentale à l'égard de la Russie et de l'Ukraine a changé et que nous sommes déjà impliqués dans le conflit, je pars du principe que des éléments-clefs de ce changement d'époque vont s'inscrire dans la durée.


 

Jonas J. Driedger travaille à la Fondation de la Hesse pour la recherche sur la paix et les conflits (Hessische Stiftung für Friedens- und Konfliktforschung, HSFK). Ses recherches portent sur les guerres interétatiques, la dissuasion dans les relations internationales, les relations entre les grandes puissances et leurs voisins ainsi que la politique de sécurité et de défense russe et transatlantique. Il a notamment vécu à Moscou et à Kiev.

© www.deutschland.de 

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