« Des émotions qui demandent beaucoup de tact. »
Un opéra sur l’histoire de l’Allemagne et de la Namibie : dans une interview, la réalisatrice Kim Mira Meyer nous parle de la coopération germano-namibienne.
Madame Meyer, qu’est-ce qui a fait que « Chief Hijangua » soit le premier opéra namibien ?
C’était le souhait du compositeur et chef d’orchestre Eslon Hindundu. Il a également développé l’histoire avec le librettiste allemand Nikolaus Frei. En Namibie, la tradition des opéras n’existe pas comme en Europe. Mais Eslon souhaitait que cela soit aussi possible dans son pays.
De quoi s’agit-il dans cet opéra ?
Un prince namibien a du mal à se faire aux structures hiérarchiques de sa famille et est amoureux d’une femme qu’il n’a pas le droit d’épouser. Il s’enfuit et se retrouve au sein d’une mission allemande. Là-bas, il apprend la langue, le tir, mais ne se sent pas non plus vraiment chez lui. Il revient et est poursuivi par les Allemands qui s’emparent de son village. L’opéra se termine en drame. Il raconte les prémices de l’histoire coloniale entre l’Allemagne et la Namibie.
Qu’est-ce qui vous a motivé à participer ?
Mon amitié pour Eslon. Nous nous sommes connus en 2019 lors du festival d’opéra à Immling et nous voulions faire un projet commun. J’ai fondé à cet effet l’association Momentbühne. Nous avons été soutenus, entre autres, par Siemens Arts et le ministère allemand des Affaires étrangères. Au terme de trois ans, nous avons pu faire la première représentation en Namibie. Un rêve fou devenait ainsi réalité. Et peu de temps après, nous savions que nous pouvions également le monter à Berlin, à la Haus des Rundfunks, grâce au soutien de la Fondation de la loterie allemande et du Sénat berlinois.
Une centaine de personnes étaient mobilisées devant et derrière la scène. Comment l’équipe s’est-elle constituée ?
J’ai moi-même fait des recherches en Allemagne, et Eslon en Namibie et en Afrique du Sud, où il a fait ses études. Nous avons répété à Munich, au Cap et à Windhoek. C’était un marathon. Mais comme tout le monde le voulait tellement, ça a fonctionné. Cependant, les discussions ont aussi fait partie d’un tel projet. Il était important de toujours discuter des différences culturelles ouvertement et sans jugement. Le travail sur l’opéra a suscité des émotions dans l’air, une situation qui nécessite beaucoup de tact ainsi que des hiérarchies horizontales.
Comment avez-vous abordé le sujet historique ?
En équipe, nous avons décidé de citer l’histoire, mais de créer notre propre univers artistique. Dans la mesure où le thème du colonialisme est si sensible, nous avons travaillé de manière coopérative et avons confié tous les domaines à des équipes germano-namibiennes. Nous voulions traiter le sujet sous tous les angles.
Quels ont été les défis à relever dans ce contexte ?
En tant que réalisatrice allemande, j’ai souvent eu peur de l’appropriation culturelle. Avec mon coréalisateur Michael Pulse, j’ai voyagé à travers la Namibie : nous y avons mené des discussions et collecté des accessoires. Pour l’équipe namibienne, il était important de ne pas réduire le pays à son histoire coloniale. J’étais réticente à l’idée de montrer des paniers sur scène, mais Michael voulait de cette manière représenter les cultures de la Namibie. Nous nous sommes intéressés de près à l’histoire, mais avons cherché à trouver une voie plus abstraite pour aborder, par exemple, le thème du génocide : nous avons pu présenter une installation de l’artiste namibienne Isabel Katjavivi, qui, par le biais de masques, donne un visage aux défunts.
Pour l’opéra, les chanteurs namibiens ont appris l’allemand et les chanteurs allemands, le héréro. Cela n’a pas non plus l’air évident.
Tout cela faisait partie de l’échange. Nous avons distribué les rôles indépendamment de la couleur de peau. Les chanteurs se sont mutuellement enseigné leur langue. C’est aussi dans la musique de l’opéra que l’on entend les diverses cultures qui s’y retrouvent, à savoir des influences de la musique classique, mais aussi des rythmes namibiens.
Comment l’opéra a-t-il été accueilli par le public ?
En Namibie, la première représentation a été un grand succès, et en Allemagne, l’ambiance était bonne également. Nous travaillons désormais sur une version pour orchestre de chambre que nous souhaitons présenter dans les deux pays. En Namibie, il n’y a pas d’École supérieure de chant classique. Nous tenons à mettre en place des structures pour accompagner les artistes afin de créer, là-bas, quelque chose de durable. Nous travaillons déjà sur le prochain projet avec l’association Momentbühne.
Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit ?
Le nouveau projet s’appelle « People of Song ». La première représentation devrait avoir lieu en 2025 en Namibie, et la première européenne, en 2026 à Berlin. Cette fois-ci, nous ne voulons pas nous cantonner à l’opéra, nous créerons peut-être notre propre forme d’œuvre. Toutefois, nous nous concentrerons à nouveau sur le traitement de l’histoire coloniale. Nous savons ce qui s’est passé en Namibie. Néanmoins, nous ne voulons rien pointer du doigt, mais plutôt regarder ensemble vers l’avenir. Pour cela, nous avons créé un collectif namibien-allemand qui construit une histoire. Grâce à l’œuvre « Chief Hijangua », nous avons appris une chose : plus on se parle, mieux c’est.