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La diplomatie des droits de l’homme

L’Allemagne contribue à la protection des droits de l’homme au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève.

18.03.2013
© Coffrini/AFP/Getty Images

Enfin une jolie touche de couleur dans le ciel gris de Genève : le drapeau bleu ciel des Nations unies flotte, bien visible, sur le toit du Palais des Nations, le siège européen de l’organisation mondiale. Du parc de l’Ariana qui entoure l’imposant bâtiment de l’ancienne Société des Nations, on peut voir d’ordinaire le lac Léman et les Alpes françaises au loin. Mais ce jour-là, un rideau de brouillard bouche le paysage. L’élégante Genève semble s’être mise provisoirement en hibernation, une chose inhabituelle pour une ville de banques, d’horlogerie et de politique mondiale.

Politique mondiale ? On pense plutôt à Washington, Londres ou Berlin, moins à Genève. Or c’est ici que fut créée en 1920 la Société des Nations dont les Nations unies (ONU) sont issues en 1945. Aujourd’hui, la deuxième ville de Suisse est le plus important site onusien derrière New York et un lieu important de la coopération mondiale. Plus de 20 organisations internationales y ont leur siège, dont l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation mondiale de la santé, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et le Haut Commissariat pour les réfugiés de l’ONU. A cela viennent s’ajouter quelque 160 pays avec leurs missions ou leurs représentations et nombre d’organisations non-gouvernementales. On ne saurait être plus international.

La Place des Nations est une plaque tournante de la diplomatie. La «chaise amputée» s’y dresse. Son apparence met mal à l’aise, l’un de ses pieds est estropié. Cette immense sculpture est l’œuvre de l’artiste suisse Daniel Berset – un mémorial aux victimes des mines antipersonnel. Et une invitation aux pays à ne pas ralentir leurs efforts dans la lutte contre ces armes dangereuses. La puissance symbolique de cette chaise rayonne vers l’autre côté de l’allée de la Paix, jusqu’à l’entrée principale de l’ONU. Les drapeaux de ses 193 pays membres bordent le chemin menant au Palais des Nations. Genève et ses organisations onusiennes sont un forum important quand il y va d’aide humanitaire, de politique du désarmement ou des droits de l’homme. Les diplomates et les représentants de gouvernements du monde entier ainsi que les collaborateurs d’organisations internationales se retrouvent dans le complexe du Palais des Nations pour y tenir plus de 9000 séances chaque année. Mais aujourd’hui, on ne peut s’en rendre compte car les grandes salles de conférences sont vides. Le silence de la diplomatie ?

L’impression est trompeuse. Les préparatifs de la 22e séance du Conseil des droits de l’homme battent leur plein dans les bureaux. Ce conseil est l’institution centrale de l’ONU en matière de droits de l’homme. Il 
a été créé en 2006 à l’initiative de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, afin de renforcer la politique des droits de l’homme onusienne, remplaçant ainsi la Commission des droits de l’homme. Le Conseil informe et conseille l’Assemblée générale et est doté d’un mandat étendu pour traiter les violations des droits de l’homme dans le monde. Au cours d’un processus spécifique, appelé « mécanisme d’examen périodique universel », il vérifie par exemple tous les quatre ans la situation des droits de l’homme dans chacun des pays membres. Après 2009, l’Allemagne se soumet pour la deuxième fois à cet examen périodique en avril 2013. Les 47 pays membres du Conseil se réunissent officiellement dix semaines par an dans une salle particulière. Son plafond est orné d’une immense œuvre d’art contemporain créée par l’Espagnol Miquel Barceló : il a transformé les 1000 mètres carrés de la coupole en un océan de couleur, avec des vagues qui pendent du plafond telles des stalactites. Le président fédéral allemand, Joachim Gauck, y tint un discours lors de l’inauguration de la séance qui s’ouvrit fin février 2013.

Les droits de l’homme et le travail du Conseil à Genève constituent un grand axe de la politique extérieure allemande. Depuis début 2013, l’Allemagne a été réélue pour trois ans membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ; elle en avait déjà fait partie de 2006 à 2009. Sa nouvelle candidature à cet organisme a trouvé un beau soutien dans le monde. La répartition des sièges au Conseil prévoit une représentation proportionnelle des régions. Chaque année, un tiers des membres sont renouvelés pour trois ans. L’Allemagne est l’un des neuf membres de l’Union européenne actuellement représentés au Conseil et fait partie du « groupe 
occidental ». Lors du vote à New York en 
novembre 2012, 127 des 193 pays membres de l’ONU votèrent pour l’Allemagne.

« Un vote éloquent », dit Hanns Heinrich Schumacher à propos de cette belle preuve de confiance. Ce diplomate est l’ambassadeur allemand et le directeur de la Repré­sentation permanente de l’Allemagne auprès des Nations unies à Genève. Pour parler, Schumacher s’installe dans un fauteuil en cuir noir de son bureau. « L’Allemagne a acquis une excellente réputation à l’international et est perçue comme un intermédiaire sincère », dit-il à propos de l’approbation dont jouit la politique des droits de l’homme de son pays.

Gerald Staberock estime lui aussi que c’est un signe positif que l’Allemagne ait été réélue au Conseil des droits de l’homme et y assume des responsabilités. Cet Allemand est le secrétaire général du réseau international « Organisation mondiale contre la torture » à Genève où il suit d’un regard critique le travail du Conseil des droits de l’homme pour les organisations non-gouvernementales. Staberock considère aussi son orga­nisation comme un partenaire. « La coo­pération entre les États et les ONG est nécessaire. » Avec des subventions accordées par le Fonds des droits de l’homme du ministère allemand des Affaires étrangères, son organisation a créé un bureau en Tunisie pour y soutenir les militants des droits de l’homme et documenter les cas de torture. Quelles sont les attentes de ce juriste envers le travail de l’Allemagne au Conseil ? « J’espère que l’Allemagne s’engagera encore plus sur les questions litigieuses. »

L’engagement de l’Allemagne au Conseil des droits de l’homme, explique l’ambassadeur Schumacher, se concentre sur trois grands points : le droit à l’eau et à l’assainissement, le droit à un habitat convenable et la lutte contre la traite humaine. « L’eau et l’habitat sont des composantes élémentaires d’une vie digne », souligne l’ambassadeur allemand. « Nous voulons mettre en évidence leur importance universelle. » Dans le meilleur des cas, on y parvient avec une résolution politique de l’ONU. Le chemin qui y mène passe la plupart du temps par des discussions et des négociations intenses avec les autres pays au cours desquelles on cherche à surmonter les différences de conceptions et d’intérêts. Les initiatives suprarégionales offrent de meilleures perspectives de réussir, dit le diplomate qui a déjà représenté l’Allemagne à Bangkok, Bagdad, Helsinki et Windhoek. Cette stratégie devient claire quand on prend l’exemple de l’eau. Avec le « Blue Group », l’Allemagne a créé sur le sujet un groupe 
de soutien composé actuellement de onze pays qui veulent faire avancer la réali­sation concrète du droit à l’eau. Dans la lutte contre la traite humaine, l’Allemagne a avec les Philippines un allié avec lequel elle coopère étroitement pour tenter de convaincre les autres pays d’adopter une position commune.

Mais l’ambassadeur Schumacher est réaliste. « Les discussions au Conseil des droits de l’homme sont un processus, on est sans cesse confronté à de nouveaux défis. » Le travail du Conseil est surtout compliqué par le fait que de nouvelles violations des droits de l’homme dans les régions en crise sont signalées presque quotidiennement. L’ambassadeur Schumacher estime qu’une réaction unanime du plus grand nombre de pays possible est décisive pour protéger les droits de l’homme de manière crédible : plus les soutiens sont nombreux, et plus l’autorité morale du Conseil est grande. ▪