A travers Berlin sur le chemin du Mur
Découvrir à vélo l’histoire de l’Allemagne : le chemin du Mur réunit le passé et le présent.
C’est très calme dans la Zimmerstrasse à Berlin-Mitte. Cela tombe bien. Une stèle commémorative rappelle la fin tragique d’une fuite de la RDA vers la République fédérale : Peter Fecher, âgé de 18 ans, a été blessé ici le 17 août 1962 par les balles des garde-frontières de la RDA et s’est vidé de son sang sur la ligne de démarcation. Mais on n’a pas beaucoup le temps de réfléchir sur le vélo, car quelques tours de pédale plus tard on se croirait dans une fourmilière. Des touristes du monde entier font la queue dans la bonne humeur pour prendre un selfie devant la réplique de la guérite de l’ancien poste-frontière « Checkpoint Charlie ».
Deux situations opposées qui reflètent l’histoire du Mur de Berlin qui, pendant 28 ans, a séparé la population allemande de l’Est et de l’Ouest, ancré la séparation politique du pays et de l’Europe, déchiré des familles et a divisé Berlin. La piste cyclable du Mur de Berlin sert à le rappeler. Avec 14 étapes et sur une longueur totale de 160 kilomètres, il mène les personnes intéressées aux les points importants de l’ancienne Allemagne divisée – en plein milieu de Berlin, devant d’autres points frontières et le mémorial de la Bernauer Strasse, le lieu de commémoration central pour les morts du Mur de Berlin. Ensuite, on continue vers le sud de la capitale, via Schönefeld et Licherfelde pour atteindre le lac Wannensee au sud-ouest et Hermsdorf au nord.
L’étape obligatoire est certainement la Station Warschauer Strasse de la ligne de métro U1 en direction de la Potsdamer Platz. C’est décontracté que l’on peut descendre le pont jusqu’au bord de la Spree, puis commercer à plonger dans un bain d’émotions. Le parcours longe l’East Side Gallery qui est à la fois un document impressionnant de la situation frontalière et le plus long vestige conservé du Mur tout en étant une galerie de tableaux et une attraction touristique. Des couples d’amoureux posent devant les peintures et les graffitis tandis que des souvenirs sont proposés en arrière-plan.
En traversant le pont Schillingsbrücke, la seule côte du parcours, on atteint la Luisenstadt. Un espace qui ressemble à un parc a été aménagé le long de l’ancienne frontière jusqu’à l’Engelbecken (bassin de l’Ange), selon les plans d’Erwin Barth, célèbre directeur de jardin. Face à ce cadre idyllique et aux personnes qui y flânent, sont assises sur des bancs ou se détendent en jouant à la pétanque, imaginer les tentatives d’évasion dramatiques et mortelles serre le cœur.
C’est le moment de faire une pause ? C’est facile : un café se trouve directement au bord de l’eau de l’Engelbecken. On continue en passant devant le bâtiment de la maison d’édition Axel Springer, en longeant le tracé du Mur – qui est matérialisé dans le centre-ville par une double rangée de pavés - et en empruntant la Zimmer Strasse jusqu’au mémorial de Peter Fecher. Après avoir passé le poste-frontière pour étrangers Checkpoint Charlie et le musée du Mur, pour la visite duquel il est recommandé de prévoir deux heures supplémentaires, apparaît la « Topographie de la Terreur ». De 1933 à 1945, c’est lâ que se trouvait le centre de la terreur nationale-socialiste. Par la suite, le Mur a été érigé à proximité immédiate : un morceau de 200 mètres de long du Mur s’y trouve encore aujourd’hui et permet aux visiteurs de se rendre compte de l’effet violent de l’ancienne frontière. Au bout des sept kilomètres du tronçon, il faut faire preuve d’un peu de flair : sur la Potsdamer Platz, cachée entre les nouveaux bâtiments, se dresse une ancienne tour de garde de la RDA.
Après la chute du Mur en 1989, on était loin d’imaginer de pouvoir découvrir à vélo l’histoire de la division de l’Allemagne. Sur le plan politique et médiatique, on était d’avis que rien ne devait le rappeler, qu’il fallait, selon l’expression allemande, laisser pousser l’herbe, au sens propre du terme. La politique s’inspirait de plans vieux de 50 ans d’une « ville adaptée à la circulation automobile » et voulait prolonger l’autoroute A100 – là où se trouve aujourd’hui le mémorial de la Bernauer Strasse. « Comme si on pouvait tout simplement effacer l’histoire » explique le politicien berlinois Michael Cramer du parti des Verts. « Le chancelier Helmut Kohl a heureusement empêché cela à l’époque. »
C’est Cramer qui, en 2021, à l’occasion du 40ème anniversaire de la construction du Mur a fait la demande d’une piste cyclable le long de l’ancienne frontière. La décision de la Chambre des députés a suivi. Il se souvient que « c’est à partir de là qu’ont commencé la signalisation et l’aménagement de la piste pour les cyclistes ». Selon lui, l’intention première du projet était de rappeler l’histoire. « Mais cela s’est rapidement transformé en une attraction touristique. »
Pour la piste cyclable du Mur à travers la ville et autour de l’ancien Berlin-Ouest, les planificateurs se sont servis d’une part du chemin douanier des Alliés et d’autre part du « chemin des colonnes » des postes-frontières de la RDA de l’autre côté de l’ancienne frontière. Sur 15 kilomètres, Il a fallu aménager ou remettre la piste en état. Le départ et l’arrivée du tronçon de 20 kilomètres se trouvent à proximité des stations de transports en commun, ce qui permet de les atteindre facilement. Des plans de l’ensemble et des panneaux de signalisation permettent de s’orienter. Des informations sur la division de l’Allemagne en plusieurs langues sont disponibles aux stations de la « Geschichtsmeile Berliner Mauer » ainsi qu’aux bornes d’information. Dans le centre-ville, le système d’orientation « Orientierungssystem Berliner Mauer », avec des cartes et des stations audios, aide à découvrir les vestiges du Mur. Les éléments particuliers font l’objet d’explications avec des textes et des photos.
C’est grâce à la ténacité de Michael Cramer que la dernière partie manquante de la piste cyclable du Mur est en train d’être comblée par un nouveau passage souterrain. Jusqu’à son achèvement en 2024, il faut faire un détour de deux kilomètres. Lorsqu’on demande à Cramer pourquoi la piste cyclable du Mur l’occupe sans cesse, il répond : « je trouve que la transmission de l’histoire par le vélo est optimale. On va rapidement d’un endroit à un autre, mais suffisamment lentement pour tout voir ».