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« J’aimerais qu’il y ait davantage de véritables échanges »

Interview de Florian Hager, administrateur de l’ARD, sur les défis actuels et futurs de la radiodiffusion publique en Allemagne. 

Wolf ZinnInterview: Wolf Zinn , 14.05.2025
Florian Hager, administrateur de l’ARD
Florian Hager, administrateur de l’ARD © picture alliance / epd-bild

Monsieur Hager, l’ARD fête en 2025 ses 75 ans. Pourquoi l’Allemagne a-t-elle besoin aujourd’hui et à l’avenir d’une radiodiffusion publique  ?
La dernière étude d’acceptation de l’ARD montre que la chaîne a nettement progressé, en particulier chez les plus jeunes. 76 pour cent des 14-24 ans utilisent l’ARD chaque semaine en numérique, soit 20 points de plus qu’en 2023. Mais la manière dont nous utilisons les médias va continuer à changer radicalement : les jeunes se familiarisent de plus en plus avec le monde par le biais d’agents linguistiques, avec des questions et des prompts. En tant qu’ARD, nous devons nous y adapter pour que nos contenus soient également trouvés. Nous sommes forts sur les réseaux sociaux – prenez par exemple le tagesschau sur Instagram avec 5,9 millions d’abonnés. La recherche sur les médias nous apprend que les gens perdent de plus en plus confiance en la démocratie, mais que leur intérêt pour la politique a augmenté. Ils cherchent des informations fiables, indépendants, vraies – et lis les recherchent chez nous. Nous avons été créés il y a 75 ans, en tant que contre-modèle démocratique à la radio d’État coordonnée des nazis. Notre mission première est de fournir des informations indépendantes, équilibrées et non étatiques. Désormais, notre défi est d’assurer que ce soit encore le cas à l’avenir. Il est clair que nous devons évoluer pour ce faire : nous y travaillons.  

Il est clair que nous devons évoluer : nous y travaillons.
Florian Hager, administrateur de l’ARD

Qu’en est-il de la liberté de la presse en Allemagne ? Et comment garantissez-vous l’indépendance de l’information en provenance des pays où la liberté de la presse est – parfois massivement – limitée ?
La liberté de la presse est un pilier de la démocratie et en Allemagne aussi nous devons être vigilants à ce que ce pilier ne soit pas affaibli par les mauvaises informations et les commentaires haineux. Dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par « Reporters sans frontières », l’Allemagne n’occupe que la 11e place, car de plus en plus de journalistes sont attaqués. Nous devons protéger nos collègues de l’ARD – aussi bien à l’intérieur du pays, lorsqu’ils couvrent par exemple des manifestations, mais bien sûr aussi les correspondants et correspondantes à l'étranger. Dans certains pays, notre mission principale de journaliste est même justement de mettre en lumière les dysfonctionnements du système ou de rendre compte de la censure et des tentatives de contrôle des autorités. L’ARD dispose de l’un des plus grands réseaux de correspondants au monde, afin d’être au plus près des gens et de leurs histoires. La même chose s’applique au caractère régional, c’est l’ADN de l’ARD. Être sur le terrain avec les gens est notre mission la plus importante, même à l’époque de l’IA. 

Hager s’engage pour la diversité des opinions.
Hager s’engage pour la diversité des opinions. © picture alliance / epd-bild

Comment répondez-vous au reproche selon lequel la radiodiffusion publique rapporte ou commente souvent de manière unilatérale – plutôt « à gauche » – et que la diversité des opinions est globalement négligée ?
Le reproche vient des deux côtés : certains se plaignent de la place trop importante accordée aux voix conservatrices de droite sur l’ARD, d’autres nous reprochent d’avoir un biais gauchiste dans nos reportages. Et quand je pose des questions concrètes, les réponses sont généralement minces. Lorsque nous parlons du changement climatique provoqué par l’humain – ce n’est pas « vert gaucho », mais un consensus scientifique. L’important est de ne pas alimenter les « faux équilibres » dans les rapports. Bien entendu, notre mission consiste à rendre compte de manière équilibrée et véridique dans l’ensemble de notre programme. C’est le métier de base des journalistes. Si les journalistes ont des opinions ou des positions, celles-ci sont toujours signalées de manière transparente. Et oui, nous faisons aussi des erreurs. C’est pourquoi nous évaluons constamment notre programme et sommes nos propres critiques les plus virulents dans le but de garantir un service de base en matière de pluralité. En effet, avoir beaucoup de contenu n'est pas forcément synonyme de diversité. Et oui, on peut encore ajouter ça : nous avons besoin d’une plus grande diversité d’opinions et de perspectives. Toutefois, nous devons également présenter ces différentes perspectives dans les débats et permettre aux personnes de dialoguer entre elles de manière respectueuse. Je ne crois pas beaucoup à l’idée d’envoyer des personnes aux opinions opposées dans une arène médiatique et de les regarder se hurler dessus. J’aimerais qu’il y ait davantage de véritables échanges, d’écoute et de tolérance à l’égard des opinions divergentes. 

Nous avons besoin d’une plus grande diversité d’opinions et de perspectives.
Florian Hager, administrateur de l’ARD

Considérez-vous que l’ARD a la responsabilité de lutter activement contre la désinformation ?
Nous avons des rédactions de fact-checking qui rendent la désinformation visible. Nous ne parviendrons simplement jamais, à mes yeux, à dévoiler toutes les fausses informations. Nous avons un impact bien plus important avec nos propres contenus : ils sont tous issus de recherches journalistiques. Mais au-delà aussi, je considère que la responsabilité de l’ARD est engagée. Cela a aussi beaucoup à voir avec la souveraineté numérique – avec notre dépendance vis-à-vis des groupes de technologie numérique. Lorsque Mark Zuckerberg, le PDG de Meta, qualifie les fact-checks dans les réseaux sociaux de « censure institutionnalisée » ou que le vice-président des États-Unis, JD Vance, menace ouvertement de ne plus défendre l’Europe en cas de guerre si nous régulons les plateformes, cela m’inquiète au plus haut point. Bien sûr, nous sommes également présents sur ces plateformes numériques avec nos contenus, mais nous avons délibérément choisi de nous diversifier et de diversifier nos contenus afin de pouvoir continuer à fournir des informations de base si l’un des opérateurs de plateforme venait à nous couper le courant. L’information et l’éducation permettent de lutter contre la désinformation : avec nos projets d’éducation aux médias, nous allons par exemple dans les écoles et expliquons comment les enfants peuvent reconnaître les fake news. Le journalisme du futur doit non seulement transmettre des contenus, mais aussi expliquer encore plus précisément comment on choisit et pourquoi. Et il doit aussi expliquer ce qui est mis de côté. 

À propos de la personne

Florian Hager, né en 1976 à Aalen, a étudié les médias audiovisuels, le journalisme et les sciences cinématographiques. Au cours de sa carrière, il a travaillé pour les chaînes télévisées ZDF, 3sat et ARTE. Depuis mars 2022, Florian Hager est administrateur de la radio de Hesse et, depuis janvier 2025, président de l’ARD pour deux ans. 

L’ARD

L’ARD (abréviation de Arbeitsgemeinschaft der öffentlich-rechtlichen Rundfunkanstalten Deutschlands – communauté de travail des établissements de radiodiffusion de droit public de la République fédérale d’Allemagne) a été fondée en 1950 et constitue, avec neuf stations régionales de radiodiffusion, la deuxième télévision allemande (ZDF), la station de radiodiffusion étrangère Deutsche Welle et la radio allemande Deutschlandradio, la radiodiffusion de droit public en Allemagne. Environ 23 000 employés travaillent pour onze chaînes de télévision et 55 stations de radio. L’ARD est financée en grande partie par la redevance audiovisuelle que chaque foyer allemand doit en principe payer.