Le patrimoine culturel syrien
L’Allemagne œuvre à plusieurs niveaux à la sauvegarde du patrimoine culturel syrien. L’Institut d’archéologie allemand joue là un rôle éminent – une interview de sa présidente, Mme le Professeur Friederike Fless.
Mme le Professeur Fless, le patrimoine culturel syrien est menacé par les conflits armés. De quoi s’agit-il concrètement quand on parle du patrimoine culturel syrien ?
Les six sites classés au patrimoine mondial par l’UNESCO illustrent bien ce qui compose le patrimoine culturel syrien. Il s’agit entre autres des villes antiques de Damas et d’Alep, avec leur longue histoire, mais aussi de la vieille ville de Bosra. Cette ville au sud de la Syrie est unique en son genre avec ses bâtiments antiques en basalte, le matériau de construction typique de cette région à la frontière jordano-syrienne. Une autre région, le massif de calcaire au nord-ouest de la Syrie, est également inscrite au patrimoine mondial. La pierre de calcaire donne son aspect caractéristique aux constructions de cette zone. Et des villages antiques entiers, des bâtiments et des églises y sont extrêmement bien conservés jusqu’à aujourd’hui. Cet excellent état de conservation est également caractéristique des châteaux du désert et des premières mosquées. Des châteaux datant des Croisades comme le Krak des Chevaliers et l’importante ville-oasis de Palmyre sont également classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les anciennes cités comme Ougarit, Mari et Ebla, archéologiquement bien perceptibles à partir du troisième millénaire, sont également sur la liste des sites qui devraient être nominés.
Quel est le plus grand danger, quelle est la situation actuelle ?
Les dangers qu’encourt le patrimoine culturel syrien sont multiples. Les destructions ciblées par l’Etat islamique nous sont encore présentes à l’esprit. Les destructions dues aux combats sont en revanche permanentes et ont acquis une dimension inimaginable. Le pillage vient s’y ajouter. On estime que, pour 2015, plus de 200 sites archéologiques ont été détruits par des fouilles illégales sur les quelque 740 sites existants. En outre, en raison de la destruction des habitations et de l’absence de matériaux de construction, on assiste de plus en plus souvent à la démolition de bâtiments antiques pour en récupérer les matériaux.
Lors d’une conférence internationale sur la protection du patrimoine mondial syrien début juin 2016 au ministère allemand des Affaires étrangères, un grand nombre de mesures d’urgence ont été adoptées. Lesquelles ?
Un plan d’action pour la Syrie a été adopté par l’UNESCO dès 2014 et il est en cours de réalisation. Les besoins très spécifiques dans le secteur des mesures de formation à la protection des biens culturels et à la préservation de la culture ainsi qu’un soutien avec des informations et des outils ont été décrits pour l’ensemble du territoire syrien et les méthodes pour les réaliser ont été adoptées. Tout d’abord, on a besoin, pour la protection des biens culturels et la préservation de la culture, d’informations sur les monuments et les bâtiments détruits aujourd’hui détruits provenant des recherches internationales afin de pouvoir prendre des décisions sur la conservation et la restauration. Mais on a aussi besoin de know-how et d’appareils de mesure pour documenter les dommages, les évaluer et prendre des mesures de conservation. Et nos confrères syriens, qui tentent de préserver le patrimoine culturel de leur pays, n’y parviennent pas seuls. Ils ont besoin d’aide.
Quel rôle jouent ici l’Allemagne et l’Institut d’archéologie allemand ?
L’Institut d’archéologie allemand a commencé dès 2012 à numériser ses archives avec le Musée des arts islamiques des Musées nationaux de Berlin. Aujourd’hui, plus de 100.000 photos, plans et dessins sur la Syrie existent au format numérique. Ils sont également à la disposition de nos confrères syriens. Le « Syrian Heritage Archive Project » s’accompagne maintenant d’un projet lancé par l’Archaeological Heritage Network, « Die Stunde Null – Eine Zukunft für die Zeit nach der Krise » (L’heure zéro – un avenir pour l’après-crise). Dans l’optique d’une éventuelle reconstruction en Syrie et en raison des destructions de certaines zones par l’Etat islamique en Irak, ce projet a pour objectif de créer des capacités et de commencer à planifier la reconstruction. On forme des spécialistes pour pouvoir documenter les constructions et évaluer les dommages et pour planifier des mesures de conservation et de restauration. La vieille ville d’Alep, qui fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, a à nouveau été rendue habitable par la Société de coopération internationale (GIZ) depuis les années 1990. La GIZ renouera donc avec le projet de réhabilitation de la vieille ville d’Alep au sein du projet « Die Stunde Null ». On forme également des experts dans le domaine des musées et de la conservation.
N’est-il pas difficile d’agir dans une zone en crise ?
Les mesures se déroulent surtout dans les pays voisins de la Syrie et en Irak. Mais on ne forme pas seulement des experts. Il s’agit surtout de former les réfugiés syriens à l’artisanat, notamment à la taille de pierres, afin qu’ils puissent contribuer comme spécialistes à la future reconstruction du pays. La formation et la création d’emplois pour les mesures de préservation de la culture en Jordanie, en Turquie et au Liban sont aussi conçues comme une aide humanitaire pour les réfugiés. Le fait qu’ils apprennent et travaillent par exemple avec des Libanais et des Jordaniens au sein des projets contribue à réduire les tensions entre les pays. Avec le Service allemand des échanges universitaires (DAAD), nous soutenons aussi des programmes d’études spécifiques pour les réfugiés syriens au Caire et à Amman. Il y va ici d’un « Leadership for Syria ». Mais cela ne décrit que quelques facettes du réseau, je pourrais en parler beaucoup plus longtemps. Le projet « Die Stunde Null », soutenu par le ministère allemand des Affaires étrangères avec 2,65 millions d’euros par an au cours des trois prochaines années, a bien d’autres facettes.