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L’Europe 
doit agir

L’afflux de réfugiés lance un immense défi à l’Union européenne. Josef Janning, spécialiste de l’Europe, parle des composantes européennes nécessaires à une réponse commune.

30.12.2015

Les mouvements importants de réfugiés vers l’Europe sont la troisième grande épreuve pour la cohésion et la capacité d’agir de l’Union européenne (UE) en 2015. En janvier, la crise dans l’est de l’Ukraine s’aggravait. L’initiative d’un deuxième accord de Minsk de la chancelière Angela Merkel et du président de la République française François Hollande permit de mettre un terme aux combats et préserva l’unité des Européens dans leurs relations avec la Russie. L’été 2015, la Grèce fut sauvée de l’effondrement financier dans le respect des règles et des institutions de la zone euro. Ici aussi, la persévérance et la patience du gouvernement fédéral ont contribué de manière déterminante à un changement de politique à Athènes.

Comme ces deux challenges, la vague de réfugiés est elle aussi une crise annoncée. En 2014, plus de 200 000 demandeurs d’asile arrivaient déjà en Allemagne et ils étaient près d’un million fin 2015. En décidant en septembre d’accueillir un grand nombre de réfugiés en Allemagne, le gouvernement fédéral a créé une situation nouvelle pour l’UE. Le geste humanitaire de l’Allemagne aurait pu provoquer un allègement sensible des pays d’entrée en Europe que sont la Grèce et la Hongrie ainsi que des pays de transit si on était simultanément parvenu à fermer les frontières extérieures de l’espace Schengen, au sein duquel il n’y a pas de contrôle fixe des frontières, à inciter la Turquie à modifier sa politique des réfugiés et à mettre un terme aux combats en Syrie. Le système de Dublin, dépassé, qui prévoit le traitement des demandes d’asile dans les pays d’entrée dans l’UE, aurait pu être révisé et un mécanisme de répartition des réfugiés élaboré. Ces conditions nécessaires à la réussite n’ont pas été remplies et la dynamique des migrations a créé une urgence exigeant des décisions qui dépassait les pays de l’UE. Cette tentative d’apaisement de la crise a conduit à un approfondissement des conflits au sein de l’UE. Pour la première fois, les pays de l’UE ne se rapprochaient pas pendant une crise.

Le signe visible de cette nouvelle situation est que la décision de répartir maintenant 160 000 réfugiés provenant des pays d’entrée dans l’UE, imposée par un vote à la majorité, n’est au mieux que partiellement appliquée par les pays eux-mêmes. Trois camps caractérisent le conflit au sein de l’UE : le premier est formé des pays les plus fortement touchés par le flux de réfugiés sur une ligne allant de la Croatie à la Suède, le deuxième est constitué par les pays de l’UE de l’Europe centrale et orientale, des pays n’ayant en général pas l’expérience de l’immigration ni de politique d’intégration, et le troisième des autres pays d’Europe occidentale se situant à l’écart comme la Grande-Bretagne qui n’est pas membre de l’espace Schengen ou se comportant de manière passive, espérant ainsi éviter des contraintes intérieures trop importantes.

Il existe un fossé entre les initiatives au niveau européen et la gestion du grand nombre de réfugiés méritant un accueil digne, juste et social ; l’un a un impact à moyen ou à long terme, l’autre doit être réalisé manitenant et réussir pour préserver la paix sociale dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suède où deux demandes d’asile sur trois sont déposées dans le monde.

Les éléments d’un règlement européen de la crise des réfugiés ont été identifiés dans les capitales européennes mais leur implémentation n’est à ce jour que fragmentaire. Pour cela, cinq composantes devraient s’imbriquer. Tout d’abord, l’Europe a besoin de solidarité. L’application systématique des règles en vigueur en fait partie, tout comme un véritable allègement pour les pays particulièrement touchés. Nombre d’experts avaient été surpris il y a des années par le fait que les pays de l’UE approfondissent leur coopération dans le domaine de la justice et de l‘intérieur, utilisant les éléments de la méthode communautaire. Dans ce processus de prise de décisions, les institutions supranationales sont au premier plan bien que le domaine de la justice et de l’intérieur soit géré de manière fortement ­intergouvernementale, c’est-à-dire avec une forte compétence des États nationaux. Ce système mixte révèle maintenant sa faiblesse avec le manque de soutien des décisions prises en commun. Deuxièmement, l’UE, ou du moins l’espace Schengen, aurait besoin d’une gestion commune des frontières vers l’extérieur, portée par tous les pays concernés. Aux frontières, l’UE aurait besoin de centres d’accueil équipés à l’avenant où les réfugiés pourraient être enregistrés et pris en charge. On y examinerait leurs demandes d’asile et, après décision, ils pourraient poursuivre leur voyage dans l’UE ou repartir dans leurs pays d’origine.

Troisièmement, les Européens devraient réagir plus tôt et de manière cohérente aux crises et aux guerres dans leur voisinage. L’UE a besoin d’une brigade d’intervention humanitaire pour compléter de manière visible l’action des Nations unies pour bien prendre les réfugiés en charge dans la région. Si la situation est trop lourde pour les pays voisins, les pays de l’UE pourraient convenir de contingents, par exemple avec la Turquie, dans le cadre desquels les réfugiés pourraient arriver directement et de manière réglementée dans l’UE depuis les pays partenaires. En contrepartie, les pays ainsi soutenus devraient contrôler efficacement leurs frontières extérieures et mettre fin aux activités des passeurs. Quatrièmement, une politique anticipative de réaction aux crises offre la meilleure approche pour influer sur les causes de la fuite des populations. Pour cela, les Européens auraient besoin de moyens économiques, financiers, diplomatiques et militaires communs ainsi que d’une volonté de résoudre les conflits dans leur voisinage plus lointain, d’empêcher ou de mettre politiquement un terme aux guerres et d’inciter les autres pays ou les puissances extérieures à un engagement constructif. Cinquièmement, l’UE a besoin d’une politique commune d’asile et d’immigration dans le cadre de laquelle elle pourrait aussi régler la péréquation des charges entre les pays membres. La procédure d’asile remplace trop souvent les possibilités manquantes d’une immigration régulée.

Une action commune le long de ces cinq lignes s’avère difficile sous la pression du grand nombre de réfugiés dans quelques Etats, face à la crainte et au refus dans une partie des sociétés européennes et, dans nombre de pays, sous les attaques des partis populistes qui promettent le salut grâce au retour à la souveraineté nationale au détriment de l’UE. Si elle ne met pas en place au moins un train de mesures comprenant des parties importantes de ces composantes, l’UE se prépare un avenir incertain. Si l‘espace Schengen se délite, le marché commun et l’union monétaire en souffriront. Si l’Europe échoue, ce ne sera pas en raison de l’afflux des réfugiés mais de l’incapacité du monde politique à trouver une réponse commune. ▪

Josef Janning est directeur du bureau berlinois et Senior Policy Fellow du groupe de ­réflexion European Council on Foreign Relations.