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« Protéger la nature avec les populations »

Legacy Landscapes Fund – Stefanie Lang décrit comment ce nouveau fonds protègera la biodiversité dans le monde entier

Interview: Friederike Bauer, 21.05.2021
Il est lui aussi protégé : un léopard dans un parc national africain
Il est lui aussi protégé : un léopard dans un parc national africain © stuporter/AdobeStock

Stefanie Lang dirige le nouveau Legacy Landscapes Fund qui doit garantir la diversité des espèces, si importante pour la planète. Elle parle de l’importance de la protection de la nature et de la grande mission que s’est donné le fonds.

Mme Lang, naguère, la biodiversité était, passez-moi l’expression, l’affaire d’excentriques et d’écolos. Pourquoi n’est-ce plus le cas ?

Parce qu’il est clair maintenant que nous avons besoin d’une belle diversité des espèces pour survivre. Elle est notre assurance-vie pour l’avenir. Nous avons besoin d’une nature saine pour maîtriser le changement climatique, avec par exemple des forêts et des marais. Nous avons besoin d’espèces comme les oiseaux et les insectes pour nourrir la population mondiale car ce sont des pollinisateurs importants. Le sujet est sorti depuis longtemps de son créneau. C’est nécessaire car nous avons affaire à une crise globale

Stefanie Lang, la directrice du Legacy Landscapes Fund
Stefanie Lang, la directrice du Legacy Landscapes Fund © privat

La situation est-elle sérieuse ?

Elle est dramatique. Nous détruisons la nature à une vitesse incroyable. La disparition des espèces est 100 fois plus rapide qu’elle ne le serait sans l’action humaine. Une espèce végétale ou animale meurt toutes les onze minutes, nous détruisons des forêts équivalant à la superficie d’un terrain de foot toutes les quatre secondes. La pandémie du coronavirus a magistralement prouvé que nous ne pouvons pas nous le permettre.

Quel est le rapport entre la biodiversité et la pandémie ?

Les trois quarts des nouvelles maladies infectieuses, comme le Zika ou l’Ebola, sont des zoonoses, des maladies infectieuses avec lesquelles les virus passent d’un hôte animal à l’homme. Selon les chiffres du Conseil mondial de la biodiversité, il existe encore 1,7 million de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux. Plus l’homme pénètre dans une nature originelle et détruit des écosystèmes intacts, plus le contact entre l’homme et l’animal s’intensifie. La transmission des virus à l’homme est alors d’autant plus probable. Il y aurait encore des douzaines de virus ayant le potentiel de provoquer une pandémie. Nous sommes donc confrontés à un danger beaucoup plus grave que nous ne le pensons. Il est d’autant plus important ne pas pénétrer plus avant dans la nature, de détruire les forêts, d’exploiter les écosystèmes et de détruire les biotopes.

Peut-on encore freiner cette évolution ?

Les zones bien gérées de protection de la nature sont un moyen important pour atténuer la perte de biodiversité. Mais, aujourd’hui, il n’y en a pas suffisamment, seuls 16 % de la surface terrestre sont protégés. La science recommande de protéger ou de faire passer en exploitation durable 30 % de la surface globale. Et les zones protégées existantes ne protègent souvent pas efficacement la nature.

 

Des orangs-outans dans le parc national de Gunung-Leuser en Indonésie
Des orangs-outans dans le parc national de Gunung-Leuser en Indonésie © donyanedomam/AdobeStock

A quoi est-ce dû ?

Une raison très importante est le manque d’argent. 80 % de notre biodiversité se concentre sur 20 % de la surface terrestre, la majorité étant située dans les pays en développement qui n’ont souvent pas les moyens de pratiquer une protection de la nature efficace. Ce sujet y est en concurrence avec des missions importantes comme la santé, l’éducation ou la sécurité alimentaire. Si nous proposons ici un financement à long terme et de la prévisibilité, nous pouvons préserver une grande partie de la biodiversité pour la planète. Et, ainsi, parvenir à une nouvelle dimension de la protection de la nature.

Est-ce que c’est la mission du Legacy Landscapes Fund ?

Le fonds, que le ministre fédéral du Développement Gerd Müller a présenté au grand public avec nombre de partenaires du monde entier, va exactement dans cette direction. Jusque-là, les projets de protection de la nature ne durent que quelques années. La phase de financement est terminée avant même que l’on s’en aperçoive. Le Legacy Landscapes Fund est différent, il va soutenir au moins 30 des plus importantes zones de protection de la nature dans les pays en développement pendant au moins 15 ans. Avec un million de dollars par an. Cela garantit que cela fonctionnera et que des tâches importantes comme le monitoring des animaux sauvages pourront se poursuivre, même lorsque la situation générale sera difficile. Comme en ce moment où les recettes du tourisme font défaut à nombre de parcs.

Des solutions qui fonctionnent pour la nature et pour l’homme.
Stefanie Lang, Legacy Landscapes Fund

On confronte souvent la protection de la nature et le développement économique. Comment garantissez-vous une situation juste pour les populations ?  

Ce point est très important pour nous. C’est pourquoi le fonds s’appelle « Landscapes », paysages, et n’a pas l’expression « protected areas », zones protégées, dans son appellation. Nous pensons en grandes dimensions, au-delà des limites des surfaces protégées. Le fonds souhaite contribuer à l’élaboration de solutions à long terme qui fonctionnent pour la nature et pour l’homme. Ces solutions sont probablement différentes selon les pays. Mais notre ambition est que les populations installées autour de zones protégées en profitent, qu’il y ait un véritable équilibre entre la protection de la nature et les intérêts économiques avec, par exemple, des emplois pérennes, des revenus tirés du tourisme ou de l’exploitation raisonnée des ressources naturelles. C’est ce que nous voulons élaborer avec les organisations partenaires sur place. Pour cela, quinze ans sont le temps qu’il faut.

Vous avez aussi la participation de donateurs privés. Pourquoi ?

Protéger efficacement la nature est une tâche immense. Aucun pays, aucune fondation, aucune entreprise ne peut relever seule ce défi. On recueille de cette manière beaucoup plus d’argent auquel les zones protégées – et c’est peut-être le plus important – peuvent vraiment avoir recours. Nous visons un capital de la fondation de 1 milliard de dollars au total. Le Legacy Landscapes Fund serait ainsi l’un des plus grands bailleurs de fonds pour la protection de la nature dans le monde.

Quelles sont les régions que vous soutenez ?   

Nous commençons avec sept zones pilotes, quatre en Afrique, deux en Asie et une en Amérique latine. Il s‘agit du parc national des Central Cardamom Mountains au Cambodge, du parc national de Gunung Leuser en Indonésie, du parc national d’Odzala-Kokuoa en République du Congo, du parc national de North Luangwa en Zambie, du parc national de Geonarezhou au Zimbabwe, du parc national d’Iona en Angola et du parc national de Madidi en Bolivie. Nous souhaitons commencer avec ceux-ci à condition qu’ils satisfassent à l’examen approfondi auquel nous les soumettons actuellement.

Une rivière dans le parc national de Madidi en Bolivie
Une rivière dans le parc national de Madidi en Bolivie © Matyas Rehak/AdobeStock

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle précisément créé ce fonds. Ne serait-il pas mieux intégré dans une organisation internationale ?

L’Allemagne est allée de l’avant et a assumé des responsabilités. Mais, pour réussir sur le long terme, le fonds doit s’appuyer sur une large base internationale pour devenir un instrument global. Nous y travaillons et avons actuellement des entretiens avec différents gouvernements mais aussi différentes fondations et entreprises. De grands représentants, notamment de l’espace anglo-américain, sont déjà de la partie et nous espérons en accueillir d’autres rapidement.

A quoi doit ressembler le fonds dans cinq ans ?

Le Legacy Landscapes Fund doit alors être bien établi et opérationnel. Et j’espère que, outre nos activités de soutien, nous pourrons aussi enrichir les débats sur les concepts durables de protection de la nature. Nous voulons recueillir des connaissances sur les meilleures solutions et les transmettre. Si nous y parvenons, nous pourrons apporter une forte contribution à la préservation de la biodiversité globale.

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