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« Il y a une identité européenne »

L’Union européenne est solidaire dans la guerre contre l’Ukraine. La chercheuse Tanja Börzel explique ce que cela signifie pour l’avenir de l’Europe.

Carsten Hauptmeier, 03.05.2022
La politologue Tanja Börzel de la FU Berlin
La politologue Tanja Börzel de la FU Berlin © Katty Otto

Face à la guerre d‘agression de l’Ukraine par la Russie, l’UE est plus unie et déterminée que jamais. Avant la Journée de l’Europe le 9 mai, nous avons discuté avec la politologue Tanja Börzel, de l‘Université libre de Berlin, de la durée de cette unité à son avis et des défis que doit relever l’Europe. La directrice du pôle d’excellence « Contestations of the Liberal Script » demande à l’Allemagne et aux autres pays qu’ils mobilisent plus fortement la majorité des citoyens et citoyennes europhiles.

Mme la professeure Börzel, l’Union européenne est née après la Seconde Guerre mondiale pour garantir la paix. Que signifie la guerre en Ukraine pour l’Europe ?

On oublie volontiers que l’Union européenne a commencé comme projet de paix. Il est bon de le rappeler. L’Union européenne est trop souvent réduite à l’intégration du marché. Ces dernières années, on estimait déjà que l’UE n’est pas entourée par des pays démocratiques mais par des pays stables qui ne font pas la guerre. C’est pourquoi nombreux sont ceux qui ne s’attendaient pas à une guerre.

L’Union européenne a néanmoins réagi très rapidement et à l’unisson à l’agression russe. Cette unité vous a-t-il surprise ?

Que l’UE ait trouvé si rapidement une position commune est surprenant. Le président russe Vladimir Poutine pensait certainement que l‘Union ne s’entendrait pas aussi rapidement sur les sanctions. Car l’UE est souvent perçue comme trop souvent désunie, notamment dans sa politique extérieure et de sécurité. Mais nous ne devons pas oublier que les Etats membres ont aussi agi à l’unisson dans le passé, par exemple pour surmonter la crise de l’euro ou avec le programme de relance dans la pandémie du coronavirus. L’Union n’est donc pas toujours divisée.

Pensez-vous que la cohésion induite par la guerre en Ukraine durera ?

Les crises aiguisent souvent notre prise de conscience que nous sommes tous dans le même bateau et que, ensemble, nous pouvons atteindre plus d’objectifs. Mais je suis sceptique sur la pérennité de cette cohésion au-delà de la crise. Je m’attends à ce que les anciens conflits resurgissent tôt ou tard. Les coûts sociaux des sanctions adoptées m’inquiètent. Car l’augmentation des prix de l’énergie et des produits alimentaires touche surtout les groupes aux revenus modestes. Et c’est la clientèle électorale visée par les partis antidémocratiques. Si la crise diminue et les coûts deviennent plus visibles, les populistes s’empareront du sujet et s’en serviront pour mobiliser politiquement lors d’élections.

Que faire pour l’empêcher ?

Il s’agit d’abord d’atténuer l’impact social. Or les moyens de l’UE sont limités, un Etat social européen n’existera pas avant longtemps. Mais, avec le programme de relance après la pandémie du coronavirus, on est parvenu à ce que les Etats s’endettent en commun. C’était un grand pas. Je peux imaginer que la France et l’Allemagne œuvrent à l’extension de ce mécanisme pour atténuer les coûts sociaux des sanctions contre la Russie.

Emmanuel Macron a été réélu président en France. Il a souligné son engagement pour l’Europe dans sa campagne. Quelle est encore l’importance de la coopération franco-allemande pour l’Europe ?

L’histoire nous indique que l’Europe avance quand l’Allemagne et la France coopèrent. Cela vaut d’autant plus depuis que la Grande-Bretagne a quitté l’UE. Le développement de l’Union européenne dépend beaucoup de ces deux leaders.

Les citoyens et les citoyennes sont-ils suffisamment prêts à un renforcement de l’UE ?

Dans l’ensemble, le soutien à l’UE est toujours aussi fort dans la population. Mais ceux qui refusent une Europe ouverte et tolérante comme les populistes de droite ne modifieront pas leurs opinions avec la guerre d’agression menée par la Russie. Il faut donc mobiliser la majorité europhile. Une identité européenne existe depuis longtemps. Mais les forces proeuropéennes et pro-démocratie ne doivent pas laisser le terrain libre aux populistes antidémocratiques et europhobes.  

Comment mobiliser cette majorité europhile ?

Nous devons rappeler les valeurs qui fédèrent l‘Europe. L’Ukraine défend actuellement nos valeurs libérales. Et les habitants de l’Europe sont prêts à descendre dans la rue pour la démocratie et la liberté ou à accueillir des réfugiés ukrainiens.

En ce qui concerne l’UE, les responsables politiques devraient cesser de réclamer les succès au niveau national et d’attribuer les développements jugés négatifs à l’UE. Nous devons aussi débattre de l’Europe. On a toujours peur que cela n’envenime les choses. Or je crois que nous devrions débattre de l’Europe que nous voulons et de la raison pour laquelle nous la défendons. Ce faisant, nous ne laissons plus le terrain aux forces europhobes.

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